Portfolio Management : la clé pour réussir votre transformation

  • mise à jour : 03 juillet 2025
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Piloter un portefeuille stratégique comme il y a dix ans est voué à générer une inertie en inadéquation avec la vitesse d’évolution du marché et de la technologie. Au-delà de nouveaux processus et outils, c’est surtout une révolution culturelle à mener. Dans un environnement où chaque trimestre peut rebattre les cartes, comment passer d’une stratégie figée à une exécution agile, efficace et alignée avec la réalité du terrain, à l’heure de l’IA ? Benjamin Danel, expert en organisation Produit chez Thiga, livre dans cet article les 6 principes à appliquer pour piloter correctement son portefeuille en 2025.

Avec des attentes clients toujours plus exigeantes, des ruptures technologiques - accélérées par l’IA - toujours plus fréquentes et des budgets toujours plus sous tension, réinventer sa gestion de portefeuille n’est plus une option, mais une obligation. Qu’il s’agisse de projets, d’initiatives ou d’opportunités, les leaders font face à une même équation : comment investir là où l’impact sera maximal ? Derrière chaque euro, il y a du temps, des équipes, de l’énergie. Et il faut arbitrer vite et trancher juste pour ne pas être dépassé.

Face à ce chaos, une seule option : regagner en agilité stratégique. Comment réallouer plus vite les investissements là où ça compte ? Comment innover à bon escient ? Comment améliorer son “Time-To-Market” ? Comment optimiser ses coûts ? Et surtout : comment créer de la valeur là où elle fait vraiment la différence ? Si ces questions vous travaillent, c’est que vous êtes au bon endroit.

La littérature vous parlera d’OKRs, qui n’aborde qu’une partie du problème. SAFe - framework d’agilité à l’échelle - vous parlera du Lean Portfolio Management dont l’implémentation est soumise à la mise en place d’un contexte beaucoup plus large et souvent utopique (notamment sur l’adaptation du processus budgétaire et la capacité à faire évoluer l’organisation). Mais derrière ces frameworks, la réalité est plus dure : difficile de changer sa façon de financer, de gouverner, de décider. Surtout quand on n’est pas Google où l’autonomie des équipes fait partie de la culture, où l’échec est valorisé plus que pénalisé et où il y a une importance à avancer vite. Et pourtant, c’est bien là que tout se joue.

Trop souvent ignorée dans les transformations Agile ou Produit, la gestion de portefeuille est ce levier sous-estimé à même de faire réellement basculer votre organisation dans une agilité réelle, pilotée par la valeur, loin d’une inertie malvenue.

Principe #1 : Stop à la dispersion

Un des principes clés dans ce changement culturel, c’est le focus. Diriger l’énergie de l’organisation là où elle créera de la vraie valeur. Pourtant, beaucoup d’entreprises s’égarent en voulant tout faire, pour satisfaire tout le monde. Résultat : un portefeuille avec trop d’initiatives, sans cohérence globale, pas assez de priorisation, des équipes surchargées, et un impact qui s’évapore.

Les potentielles causes racines sont multiples : une ambition maquillée en stratégie (“être le leader du secteur…”), une stratégie mal assimilée ou un quotidien fait d’urgences qui ne laisse que peu de place à la prise de recul. 

La règle est simple mais difficile : faire des choix. Renoncer. Prioriser. Adapter les initiatives à la capacité réelle des équipes. Ce n’est pas une question d’outils ou de frameworks, mais de courage managérial. Focus, alignement, discipline : voilà ce qui transforme une stratégie tranchée et ambitieuse en résultats concrets. Cela implique aussi une gouvernance exigeante pour assurer une cohérence constante entre stratégie, capacité de delivery et organisation. Ce courage managérial doit s’accompagner d’une forte culture de “disagree and commit” afin que tout le monde – équipes et parties prenantes – mette la bonne énergie pour faire avancer l’organisation. 

Dans ce cadre, les OKR sont un levier puissant pour donner de la cohérence et du focus à votre portefeuille. Mais à condition de les utiliser correctement : pas plus de cinq, pas d’OKR “fourre-tout”, pas de remplissage politique, tout ça agrémenté d’un monitoring efficace et récurrent. Leur définition – et leur ajustement régulier – est un exercice stratégique, pas un rituel de reporting. Mal fait, il alourdit. Bien fait, il guide et aligne.

Ces OKR ne sont rien sans une stratégie tranchée, claire, vivante et sponsorisée. Le leadership doit avoir le courage managérial de porter haut et fort cette stratégie et de s’assurer de sa bonne exécution.  

Principe #2 : Décider en collectif

Gérer un portefeuille, c’est faire des choix. A l’heure où tout va plus vite et l’excellence devient la norme, il est crucial d’aller vite et de faire les bons. Le portefeuille ne traite que des décisions structurantes pour lesquelles l’erreur a des conséquences importantes. Alors, pour ces décisions, comment allier vitesse et qualité ? Réponse : en croisant les expertises Business, Tech, Produit et Design. Chacun apporte un angle critique pour limiter les angles morts et éclairer les choix : la faisabilité, la valeur, l’usage, les risques.

Une décision qui semble évidente pour le métier peut cacher une dette technique lourde. Une solution tech brillante peut être hors sol si elle ignore les attentes des clients. C’est en confrontant ces regards qu’on construit des arbitrages solides et ancrés dans la réalité.

Cette approche casse les silos : on ne se passe plus le relai entre expertises, on co-construit dès le départ. Le dialogue est continu, les compromis éclairés, l’exécution plus rapide car les décisions sont mûres et partagées.

Issu de ce principe, de plus en plus d’organisations adoptent le modèle “4-in-the-box” : un quatuor – Tech, Design, Produit, Business – à chaque niveau clé (squad, tribe, organisation). Sur le papier, c’est puissant. Dans les faits, sans clarification des rôles, on bascule vite dans un consensus mou, sans arbitrage clair. Résultat : inaction, délais, dilution de la responsabilité.

Le bon modèle ? Ce “4-in-the-box” avec un cadre clair pour gérer les désaccords : qui décide quoi, qui porte quelle responsabilité, et comment on tranche ces désaccords. Car si la décision collective est la norme, il faut aussi savoir accélérer. Et dans certains cas, une autorité claire doit pouvoir trancher, en plus d’incarner la stratégie. C’est souvent le rôle du sponsor stratégique ou d’un membre du COMEX.

Principe #3 : De la valeur et des chiffres, pas que des promesses

Pour piloter un portefeuille efficacement, il faut gouverner par la valeur plutôt que naviguer à vue en poursuivant un vœu pieux. Et poser, à chaque décision, une question simple, brutale, incontournable : “Combien ça rapporte, et pour quel coût total ?”

Pas juste le coût initial du projet. Le coût complet : développement, maintenance, exploitation, lancement, évolution. Cette vision responsabilise : elle force à challenger chaque initiative, non seulement sur son ROI potentiel, mais aussi sur sa durabilité, sa soutenabilité, son alignement stratégique.

Rien de nouveau ? Sûrement. Mais combien d’organisations appliquent réellement cette logique, chiffres à l’appui ? Combien mesurent la valeur produite a posteriori ? Trop peu. Résultat : les décisions se prennent trop à l’intuition, à un instant T, sans révision, basée sur de trop nombreuses hypothèses et des belles paroles amenant des arbitrages perfectibles.

Pourtant, mieux connaître ce que rapporte une initiative a posteriori, c’est mieux orienter la priorisation des suivantes. Et c’est aussi sortir d’une logique purement financière focalisée sur les coûts et les risques, pour réallouer les ressources là où elles génèrent de l’impact.

Cette mesure du ROI n’est pas une mince affaire. Côté coûts, pas d’excuse : après livraison, les données existent, les outils aussi. Côté valeur, c’est plus complexe. Contextuelle, parfois intangible, un impact est rarement 100 % attribuable à une initiative. Mais ce n’est pas une raison pour baisser les bras. On peut définir des critères communs, construire des hypothèses, s’améliorer progressivement. Qu’on soit clair, la projection de valeur parfaite n’existe pas, mais il est quand même important d’y apporter des éléments factuels pour s’assurer de n’être pas trop à côté de la plaque.

Et cet état d’esprit ROIste change les rôles : les PMs, Tribe Leads et autres leaders deviennent de vrais commerciaux de leurs initiatives. Ils portent le sujet de la valeur, ils argumentent, ils vendent. Ils élèvent le débat. Et rapprochent leur rôle de celui du business. Là où les vraies décisions se prennent.

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Principe #4 : Réduire le “Time-To-Impact”

Courir après le “Time-To-Market” est devenu un réflexe, voire une obsession pour les DSI. Mais livrer vite ne sert à rien si ce qu’on livre ne sert à rien. Le vrai sujet, c’est le Time-To-Impact : combien de temps met-on pour générer de la valeur réelle, même infime, pour l’utilisateur et pour l’entreprise ?

Trop d’organisations se félicitent d’avoir déployé en production. Et s’arrêtent là. Un petit rappel s’impose : aller vite est important, mais ce n’est utile que si cela génère de l’impact ou permet d’apprendre pour itérer. Simple. Basique.

Réduire le Time-To-Impact, c’est traquer tout ce qui freine la valeur, au-delà de la simple phase de développement : délais d’arbitrage, décisions lentes, dépendances, silos. Repérez les processus chronophages, identifiez les tâches à faible valeur ajoutée… et automatisez-les. Utilisez l’IA comme un catalyseur d’efficacité, mais aussi comme un facilitateur de la prise de décision, en apportant plus de perspectives et de rapidité d’analyse.

Mais attention : ce n’est pas qu’une affaire d’outils ou de processus. C’est aussi préférer livrer plus petit, plus vite et plus souvent pour mesurer l’effet et adapter. C’est un changement profond de logique, une transformation de la manière dont on conçoit la création de valeur, la vitesse d’exécution et l’intelligence collective. Aller vite est primordial. Mais avoir de l’impact l’est encore plus.

Principe #5 : Impliquer les bonnes personnes au bon moment

Dans la recherche de rapidité à offrir à la gestion de portefeuille, l’un des éléments clés consiste à impliquer les bonnes personnes au bon moment. Pas tout le monde, pas tout le temps et encore moins sur tout. Trop de décisions s’enlisent dans un océan de réunions, d’avis croisés, de validations en cascade. Résultat : plus personne n’ose trancher, paralysé par la peur de déléguer et le risque de se tromper. L’organisation se fige, le sujet avance lentement pendant que le monde, lui, continue d’avancer à vitesse grand V.

La clé, ce n’est pas d’impliquer plus, à la recherche de la décision parfaite, c’est d’impliquer mieux, à la recherche d’un bon rapport temps investi vs risque.

Impliquer mieux, c’est concentrer l’énergie des bons profils sur les bons sujets, au bon moment - là où ils sont les plus pertinents. C’est ce qui permet à une organisation d’aller plus vite que ses concurrents, sans trop sacrifier la qualité des décisions.

Dans ce contexte, la délégation est primordiale. Mais pour le leadership, cela peut être vécu comme une perte de pouvoir et de contrôle. Décentraliser la décision ne signifie pas lâcher le volant. Cela signifie fixer un cadre clair, avec un niveau de contrôle minimal pour éviter les effets tunnels - et laisser ensuite les équipes avancer. Cela signifie surtout mettre votre énergie là où elle compte, pas pour vous rassurer ou pour faire plaisir à celui qui vous a invité.

Encore faut-il savoir où se prend chaque décision, à quel niveau, et avec qui. Tout ne mérite pas un comité avec des dizaines de personnes. Il faut différencier ce qui relève du local ou du stratégique, et s’appuyer sur trois filtres simples : qui a la meilleure connaissance et compréhension du sujet, quel est le risque si la décision n’est pas la bonne et enfin qui doit porter cette décision (ou y avoir contribué) pour qu’elle soit acceptée par le reste de l’organisation. 

Principe #6 : Moins de grands plans, plus d’itérations

Dans un monde continuellement en mouvement, le principe d’avancer par petites itérations devient clé pour apprendre vite, ajuster vite et livrer utile. Cela doit se refléter dans la gestion de portefeuille.

Fini les plans figés sur trois ans. Ce qui compte, ce n’est pas de tout livrer d’un coup, c’est de valider des hypothèses rapidement et d’apporter de la valeur tangible dès les premières étapes.

Cela passe par une vraie culture du MVP – pas des maquettes bricolées ou des versions dégradées, mais des solutions ciblées, fonctionnelles, créées avec un minimum de ressources pour un impact immédiat et mesurable. Pour que cette logique fonctionne à l’échelle, elle doit aussi se répercuter avec une plus grande souplesse du processus budgétaire. Impossible de piloter l’innovation avec des budgets figés sur 18 mois. La Tech évolue, les besoins aussi : il faut un cap long terme, oui — mais avec des moyens et un chemin flexibles pour l’atteindre.

Le MVP n’est pas qu’une manière de lotir un développement, c’est un processus stratégique qui réduit le coût de l’erreur en corrigeant le tir dès les premiers retours. Il existe clairement en opposition à l’illusion du “grand plan” dont le cadrage et la spécification peuvent prendre des mois voire des années pour souvent mener à de la sur-spécification non utilisée.

Mais cette agilité demande du courage et de l’humilité. Le courage de reconnaître qu’un projet lancé doit évoluer, et parfois qu’il peut ne pas tenir ses promesses, même si les investissements déjà consentis sont conséquents. En effet, beaucoup de projets survivent non pas pour leur valeur, mais parce qu’on a trop investi pour faire marche arrière. Il faut donc développer un regard lucide et régulier sur les investissements : on coupe ce qui déçoit, on renforce ce qui performe et on adapte ce qui doit l’être. 

L’agilité stratégique, c’est aussi ça : savoir où on va, se mettre rapidement en marche, par petit pas, sans prétendre tout savoir à l’avance.

Principe bonus : Gérer la Tech comme un partenaire stratégique

Trop d’entreprises continuent de considérer la Tech comme une fonction support au service du business, traitée comme un fournisseur parmi tant d’autres.

Mais dans un monde où l’innovation digitale est un facteur clé de compétitivité, cette vision est non seulement obsolète, elle est toxique. 

Il est important de changer radicalement de prisme : la Tech n’est pas un centre de coûts, c’est un investissement stratégique. Cette vision impacte fortement la manière de gérer un portefeuille. Chaque initiative technologique peut générer du revenu additionnel, fluidifier l’expérience client ou optimiser les opérations. A l’heure de l’avènement de l’IA, ce point n’a jamais été aussi vrai. Toutes les fonctions de l’entreprise voient leur métier être chamboulé, avec des possibilités énormes d’amélioration concernant leur manière d’opérer. Une Tech efficace offre de nouvelles opportunités à l’entreprise, que ce soit en améliorant l’expérience opérationnelle des équipes ou en enrichissant l’expérience client. Autant avoir une vision commune et casser les silos pour assurer une efficacité et une bonne exécution de cette stratégie commune à créer. 

Quand la Tech est vue comme un vecteur d’innovation ou d’excellence, elle devient un acteur business à part entière, capable de peser dans les décisions stratégiques et d’amplifier les résultats. Mais cela suppose aussi de repenser notre tolérance au risque.

Innover, c’est expérimenter. C’est accepter l’incertitude, tester, apprendre, parfois échouer. Ce n’est pas une politique du zéro-défaut, c’est une recherche du maximum d’impact. Cela doit se refléter dans la manière de gérer le budget et les investissements du portefeuille Tech.

Unifier les budgets ? Trop utopique pour certains. Mais aligner les stratégies, articuler les capacités tech et les ambitions business est une nécessité. C’est la seule manière de transformer la Tech en moteur durable de valeur.

A l’heure de réinventer sa gestion de portefeuille, aucune baguette magique n’existe, mais quelques principes clés à appliquer avec du courage : celui de renoncer à l’illusion du contrôle total, d’accepter l’inconfort de l’expérimentation, de l’incertitude et parfois de l’échec, mais aussi celui de faire évoluer la culture d’entreprise vers plus de transparence, d’humilité, de responsabilité et d’agilité.

Que vous le vouliez ou non, l’IA va, dans les mois ou années à venir, forcément bouleverser cette gestion de portefeuille. Avec une IA bien intégrée, le temps de développement se rétrécit drastiquement. Les mois deviennent des semaines. Les semaines deviennent des jours. Développer un MVP n’a jamais été aussi rapide. Et ce n’est qu’un début. Alors, dans ce contexte, comment imaginer prévoir tout ce qui est à développer sur 12 à 18 mois ? Et comment ne réviser ses plans que tous les 6 mois à 1 an ? Le changement s’impose. Cette ultime transformation est une exigence pour les entreprises qui veulent rester pertinentes, agiles et créatrices de valeur à l’heure de l’IA.Bannière

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