"L’IA a atteint un point de non-retour"

  • mise à jour : 25 juin 2025
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L’IA n’est plus une promesse. Elle est partout, et elle change déjà tout. Mais comme pour chaque révolution technologique majeure, elle apporte autant de bouleversements que d’opportunités. Dans cet article, Kai Hansen, Partner chez Thiga et expert Produit, défend l’idée que l’IA n’est pas un simple progrès technologique : nous sommes face à la nouvelle machine à vapeur. Et les Product Managers doivent être à la hauteur de ce moment historique.

Si vous travaillez dans le Produit ou la Tech, ou tout simplement que vous n’avez tout simplement pas vécu dans une grotte ces dernières années, vous l’avez déjà compris : l’IA n’est plus la prochaine grande révolution, c’est la révolution en cours. Et elle a déjà un impact réel et profond sur nos vies. Soyons clairs : il ne s’agit pas de robots conscients ou d’intelligence artificielle générale. Mais grâce à des avancées techniques majeures ces cinq dernières années - cloud computing, architecture GPU, réseaux neuronaux, apprentissage par renforcement - et à l’émergence d’outils puissants et accessibles comme PyTorch, Huggingface, les LLMs ou la Latent Diffusion, l’IA a atteint son point d’inflexion. Son point de non-retour. 

Dans 25 ans, les enfants se demanderont comment on faisait “avant”, exactement comme ils s’étonnent aujourd’hui d’un monde sans électricité ou sans internet. Et chaque changement radical s’accompagne inévitablement de perturbations. L’histoire est sans équivoque. La révolution industrielle a bouleversé des pans entiers de l’économie, fait naître de nouvelles classes sociales, et laissé des millions de travailleurs sur le carreau. L’électricité a libéré l’énergie de la contrainte géographique. La numérisation a redéfini la musique, le journalisme, et jusqu’à la notion même de création. Donc si vous construisez aujourd’hui dans la Tech, vous devriez étudier le passé. Car chaque grande avancée technologique suit un schéma… que nous connaissons déjà. 

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L'IA est la nouvelle machine à vapeur

Prenons l’exemple de la machine à vapeur. Elle ne s’est pas imposée du jour au lendemain : il a fallu des décennies d’itérations avant qu’elle n’atteigne un point de bascule, au début du XVIIIe siècle. Tout à coup, l’énergie ne dépendait plus du vent, de l’eau ou de la force de travail des êtres humains. Ce changement a ouvert la voie à la mécanisation, à la production de masse, au développement de transports plus rapides et à l’émergence d’économies urbaines tentaculaires.

Les bénéfices furent immenses : explosion de la productivité, accélération des communications, croissance fulgurante. Mais les effets secondaires aussi : pertes d’emplois, déracinement, exploitation, dégâts environnementaux. Il aura fallu des générations pour mettre en place les protections sociales que nous tenons aujourd’hui pour acquises. Quel rapport avec l’IA, me demanderez-vous ? Et bien, absolument tout.

De la même façon que la vapeur a remplacé l’énergie cinétique, l’IA remplace aujourd’hui l’effort cognitif. Et comme à l’époque, le changement est structurel, irréversible, et éminemment politique. Là où les industriels du XVIIIe siècle décidaient comment utiliser la vapeur, ce sont aujourd’hui les Product Managers qui décident comment appliquer l’IA. C’est une responsabilité qu’on ne peut pas ignorer. L’IA n’est pas juste une fonctionnalité de plus. C’est un nouveau mode de création de valeur - plus rapide, moins cher, à grande échelle. Tout cela au prix d’une grande complexité, aux impacts potentiels très concrets. Le danger n’est pas dans l’outil lui-même, mais dans la façon dont nous choisissons de l’utiliser. L’IA ne change pas que les produits. Elle transforme les individus, les sociétés, et bouscule la balance des pouvoirs.

L'IA redéfinit les systèmes et les rapports de force.

Et c’est là que les PM entrent en jeu. À l’intersection de Tech, du business et des utilisateurs, ils définissent les problèmes, formulent les bonnes questions, et décident de ce qui mérite d’être construit. Dès qu’on intègre de l’IA, chacune de ces décisions prend une dimension nouvelle. Quelles données utilisons-nous ? Quels objectifs cherchons-nous à optimiser ? Résolvons-nous un vrai problème, ou ajoutons-nous simplement du désordre ? Cette technologie nous oblige à revenir aux fondamentaux du Produit. L’intention compte. L’IA n’est pas toujours une nécessité. Et tout ce qui peut être automatisé ne doit pas forcément l’être. Les meilleures équipes Produit ne se contenteront pas de livrer des fonctionnalités d’intelligence artificielle : elles définiront la manière dont cette technologie s’articule avec la réalité, comment elle s’intègre à notre quotidien.

Les responsabilités des Product Managers

Car, tout comme la machine à vapeur, l’IA ne change pas seulement les produits. Comme on l’a déjà dit, elle redéfinit les systèmes et les rapports de force. Et les PM qui en ont conscience, et agissent avec lucidité et courage,  seront ceux qui guideront ce changement dans la bonne direction. Pourquoi l’IA est-elle aussi transformative ? Parce qu’elle accomplit des tâches autrefois réservées aux humains, mieux qu’eux, plus rapidement, et à grande échelle. L’IA générative peut transformer des données brutes en récits, en images, en code. Dans le Design, elle génère des prototypes. Nous sommes passés de la consommation d’aliments pour nourrir des neurones à la combustion d’électricité pour faire tourner des algorithmes. Et il s’avère que cette dernière approche est nettement plus efficace.

On ne sait pas encore comment cette époque sera baptisée dans 25 ou 50 ans, mais on sent déjà quelque chose basculer. Pour les PM, les possibilités sont vertigineuses. L’IA peut amplifier les capacités créatives et intellectuelles : rédaction, développement, Design, recherche. Elle permet de concevoir de meilleurs produits, d’obtenir des insights plus pertinents, de franchir des caps plus vite. Bien utilisée, elle pourrait améliorer la santé, libérer du temps, augmenter les revenus.

Vous êtes sceptique ? Je vous comprends. Après tout, il y a quelques années l’IA n’était qu’une vague promesse. Les résultats concrets étaient rares. Cette époque est révolue. Des studios qui mettaient des semaines à modéliser des assets 3D le font désormais en quelques jours. Des étudiants survolent des centaines de pages grâce à ChatGPT. Des développeurs traduisent du code en quelques minutes. Des artistes explorent de nouveaux styles en quelques secondes. AlphaFold a résolu des structures protéiques qu’on pensait impossibles à décrypter. Des agents IA apprennent à jouer à des jeux à partir d’instructions simples.

Le buzz laisse place à une transformation réelle. Certaines hausses de productivité mesurées dépassent déjà les 50 %, un bond en avant que l’on met en principe un demi-siècle de progrès à atteindre. Et nous n’en sommes qu’au tout début. Mais, comme toujours, ce n’est pas tant la technologie qui façonne une époque que la façon dont on l’utilise. À nous d’en faire bon usage.

Les leçons de l'histoire

Ceci étant dit, tout va bien dans le meilleur des mondes possibles, n’est-ce pas ? Plongeons nous dans l’IA, et construisons un monde meilleur. C’est l’avenir ! Et bien, l’histoire nous invite à un peu plus de nuance.

Comme pour la machine à vapeur et les 150 années d’industrialisation qui ont suivi, la résistance monte en même temps que la disruption. Des artistes protestent contre les IA entraînées sur leurs œuvres. Des universités restreignent l’usage des modèles linguistiques lors des examens. Des gouvernements soulèvent des questions de droit d’auteur et de vie privée. Des chauffeurs routiers s’inquiètent, à juste titre, d’un avenir dominé par les véhicules autonomes, à l’image des ouvriers du XIXe siècle qui cassaient les machines pour protéger leur emploi. Au-delà de l’économie, on commence à interroger la définition même de ce qui fait l’humain. Paranoïa d’un monde à la Terminator ? Peut-être. Quoi qu’il en soit, l'inquiétude est réelle.

La leçon à en tirer ? Les PM marchent sur une ligne de crête. L’IA peut faire gagner des heures de recherche aux développeurs, mais elle menace aussi les métiers de ceux qui ont construit ces outils. Chaque innovation suscite une réaction. Et plus le changement est rapide, plus le choc est brutal. Mon article n’aborde pas ce point, mais l’IA affecte aussi la manière dont les gens apprennent - un changement qui peut bouleverser la société de manière durable. On peut penser que ce n’est qu’une phase. Après tout, les ouvriers se sont organisés. Le droit du travail a progressé. Le niveau de vie a fini par augmenter. Alors, on s’adaptera, non ?

Oui. Mais les transitions sont douloureuses. Une étude du BCG estime que 300 millions d’emplois sont potentiellement menacés dans les pays de l’OCDE. Se reconvertir prend du temps. Tout le monde n’y parviendra pas. Certains n’essaieront même pas. Peut-être que la plus grande opportunité pour un PM aujourd’hui n’est pas de surfer sur la vague de la hype, mais de concevoir des produits et des fonctionnalités pour ceux qui risquent d’être laissés derrière.

Si vous faites de l’IA, jetez un coup d'œil en arrière avant d’aller de l’avant

N’oublions pas de vérifier nos angles morts. Chaque grande mutation crée ses gagnants et ses perdants. La révolution industrielle a donné naissance à une élite fortunée en laissant pour compte des millions de personnes. Ça vous rappelle quelque chose ? Avec l’IA, les Big Tech ont un avantage qui fait que peu d’entreprises peuvent rivaliser avec elles. Certaines catégories sociales ne peuvent plus se permettre d’habiter en ville. Quand les véhicules autonomes se généraliseront, la catégorie professionnelle la plus importante des États-Unis fera face à une crise massive. Nous n’en sommes qu’au début du cycle, mais l’histoire nous prévient : de nouvelles fractures sociales arrivent, même si certaines du passé ne se sont pas encore refermées.

Au-delà de l’impact social, une inquiétude plus existentielle se profile. L’IA consomme de l’énergie. Beaucoup d’énergie. On dit que GPT-5 a nécessité 25 000 GPU pour son entraînement. D’un point de vue matériel, l’IA dépend du lithium, du cuivre, des terres rares, et notre électricité vient encore majoritairement des énergies fossiles. L’avenir de la planète est déjà fragile. Alors, je vous repose la question : quelle leçon en tirer ? 

Si vous faites de l’IA, jetez un coup d'œil en arrière avant d’aller de l’avant. Comprenez les risques. Assumez de faire des compromis. Ne cédez pas aveuglément à la hype. Pensez comme un industriel du XXIe siècle; c’est ce que vous êtes. Vous façonnez le monde à venir. Silicon Valley, la série, avait vu juste : tout le monde prétend vouloir « rendre le monde meilleur », mais la plupart construisent pour les 1 %. La vérité qui fâche ? Trop peu mettent leur talent au service des vrais défis de l’humanité.

Oui, nous sommes à l’aube d’une nouvelle révolution technologique. Mais résistons à la tentation d’ignorer les leçons du passé. Utilisons cette vague, non pas seulement pour aller vite, mais pour avancer dans la bonne direction. Peut-être qu’enfin, cette fois, nous pourrons innover sans reproduire les erreurs qui nous hantent encore.

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