Comment faire ses adieux à son produit ?

  • mise à jour : 28 octobre 2014
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La plupart des Product Managers ou des créateurs d’entreprise que j’ai pu croiser parlent de leurs produits comme le produit superbement pensé qui révolutionnera le monde. Mais derrière cet enthousiasme se cache une dure réalité : la plupart des produits meurent. Certains d’une mort douce, d’autres connaissent une fin plus brutale.

Alors que certains produits connaissent un abandon tout à fait naturel, d’autres nécessiteront que le Product Manager ou les responsables de la stratégie produits admettent l’échec et prennent les mesures nécessaires.

Il y a un peu moins d’un an, j’étais Product Owner au sein d’une entreprise d’une trentaine de personnes qui ne gérait pas moins de 9 produits ! L’équipe de développement représentait, certes, la moitié des effectifs, mais on sentait un éparpillement dans les projets, la tension entre les équipes produits était palpable. Le Marketing ne savait plus où donner de la tête, l’offre était beaucoup trop importante. L’entreprise avait, depuis sa création, su sentir de nouveaux besoins sur son marché et avait créé des produits y répondant. Mais le potentiel de croissance de ces produits n’avait jamais réellement été évalué et l’entreprise ne s’est jamais séparée d’aucun d’entre eux. Ceux qui avaient commencés comme un PoC pour un client avaient fait leur entrée au catalogue. Ils y trônaient avec des fonctionnalités accumulées au fil des PO autour d’un concept et d’une architecture à la “quick and dirty”.

L’entreprise s’étant structurée, la direction a annoncé l’arrêt de plusieurs de ses produits. Le choc pour tout le monde, mais surtout pour les PO des produits concernés. Pourquoi ? Pourquoi leur produit et pas un autre ? Comment vont-ils annoncer cela aux clients ? Que vont-ils devenir ? Et leurs projets ? Et leur Roadmap ? Et la fonctionnalité qui aurait pu changer la donne ?

Heureusement que la même année, une startup reconnue, avait annoncé une stratégie similaire et le fait d’avoir découvert cela, m’avait permis de faire le parallèle avec la situation que vivait l’entreprise.

Certains érigent Apple ou Google en modèle, d’autres accumulent les livres de Seth Godin en espérant créer le prochain Amazon. Moi, j’ai une certaine admiration pour une boîte de 43 personnes, qui en 1999 a présenté une philosophie différente du web et du design via son manifesto, a été à l’origine de Ruby on Rails, a un beau story-telling sur son blog Signal vs. Noise et crée de super produits : c’est 37 Signals, ce qui ne l’a pas empêché de faire l’erreur de lancer une myriade de produits et de s’éparpiller quelque peu.

Le 2 Février 2014, 37 Signals a annoncé à la fois l’arrêt de la quasi-totalité de ses produits à part son produit phare “Basecamp” qui représentait 87% de son chiffre d’affaires et 90% de la croissance de ses revenus, mais aussi l’abandon de son nom “emblématique” pour celui de son unique produit à présent. 37 signals n’est plus, il faudra dire Basecamp dès-à-présent.

Si même des sociétés reconnues en passent par là, il est intéressant de mieux comprendre les mécaniques qui mènent à la mort d'un produit, afin de pouvoir maîtriser le processus et mettre en place un plan efficace pour gérer la fin de son produit.

Docteur, vous êtes sûr, mon produit va si mal que ça ?

En tant que Product Manager, je dois réfléchir à arrêter mon produit si :

  • Il n’est financièrement pas viable (depuis pas mal de temps) : nous ne faisons pas uniquement des produits esthétiques ou technologiquement à la pointe. La question essentielle qu’il faudra se poser à un moment ou à un autre est : mon produit rapporte-t-il de l’argent ? Si votre produit survit depuis plusieurs années sans business model clair, il est temps de le tirer au clair. Après analyse de la situation de votre produit, y a-t-il des leviers pour le faire revenir vers la route de la rentabilité ?

La question du business model se pose également lorsque votre produit est rentable, mais n’a aucun potentiel de croissance et ses marges s’érodent doucement, au fur et à mesure que la clientèle se tourne vers d’autres alternatives. Ce produit a-t-il alors un avenir à moyen terme ? Faut-il trouver une solution pour le relancer ou bien faire face à la réalité et envisager un remplaçant ?

  • Personne n’est là pour s’en occuper à part moi (parce qu’ils ont mieux à faire certainement) : a-t-on assez de ressources pour gérer le produit correctement, en termes d’équipe de développement, de qualité, de support client ? Le travail de ces équipes ne serait-il pas plus profitable si elles étaient sur un autre produit ?
  • Si la marge du produit est quasi entièrement mangée par les coûts de maintenance, trop élevés par la faute d'une dette technique élevée ou du manque de compétences disponibles : est-il intéressant de continuer à s’acharner sur un produit développé dans une vieille technologie ? Le produit produit-il plus de bugs que de fonctionnalités ? Passez-vous plus de temps à le maintenir qu’à le faire évoluer ?
  • S’il est en concurrence avec plusieurs produits de la même société que ce soit au niveau du marché ou des équipes.

Dans le cas de 37 signals, il s’agissait à la fois d’un manque de ressources mais aussi d’une volonté stratégique de ne pas agrandir la société. L’entreprise a préféré se concentrer sur son produit star et arrêter l’éparpillement.

Dans le cas de l’entreprise dans laquelle j’intervenais, il s’agissait d’un mélange de dette technique insurmontable, de l’éloignement de certains produits de la vision et de la mission initiales de l’entreprise et de la taille limitée de l’équipe technique qu’il fallait recentrer sur les produits stars de l’entreprise pour en faire des produits encore meilleurs.

Maintenant que la décision d’arrêter le produit est prise, comment procéder ?

Faut-il le laisser vivre en tâche de fond sans le maintenir et sans le faire évoluer tout en continuant à le vendre ? Faut-il arrêter de le proposer aux nouveaux clients mais bien s’occuper de sa base clients existante en travaillant sur des mises à jour mineures et du débug ? Faut-il complètement tuer le produit et laisser 2 semaines aux clients pour récupérer ou migrer leurs données, comme nous l’a démontré Bitcasa la semaine dernière et provoquer la colère de l’un de mes collègues.

La décision ultime vous reviendra, mais il n’est jamais conseillé d’abandonner ses clients du jour au lendemain ou de leur donner très peu de temps pour trouver des solutions.

Quelques exemples

37 Signals a fait le choix de maintenir ses autres produits pour les clients existants sans mise à jour majeure pour potentiellement les revendre ou créer des spin-off à terme, c'est le cas de Highrise depuis août 2014. L'entreprise présente l'ensemble de ses arguments aux utilisateurs et consacre une section FAQ sur son ancienne page d'accueil.

Google a comme habitude de complètement tuer ses produits, en donnant assez de temps à ses utilisateurs pour se retourner et trouver des solutions à leur problème. Google a annoncé l’arrêt de Google Reader 4 mois avant sa fermeture définitive et la suppression complète de leurs données, non sans leur présenter des alternatives. L'entreprise a fait de même pour son réseau social (non pas celui auquel vous pensez, je parlais d'Orkut) où les utilisateurs peuvent télécharger l'ensemble de leurs photos et de leurs données suite à la fermeture du service cet été.

Adobe a fait le choix de donner son framework Flex à la fondation Apache pour permettre à la communauté des développeurs de continuer le développement du produit car en 2011 plusieurs entreprises continuaient à utiliser cette technologie pour le développement de leurs applications web.

Cette dernière solution est souvent critiquée comme étant une manière de se débarrasser des produits tout en minimisant les plaintes des clients. L’Open source jouant le rôle d’un “depot-ware” des géants du logiciel.

Tuer mon produit, n'est-ce pas couper la branche sur laquelle je suis assis ?

Si vous êtes Product Manager sur un portefeuille de produits, l'arrêt d'un produit vous sera plus facile. Vous aurez plus de latitude dans vos choix et dans l'allocation de votre budget global aux différents produits de votre portefeuille.

En tant que Product Owner ou Product Manager d'un produit unique, peu de personnes oseront mettre fin à leur produit. Cela est dû en grande partie au management par objectifs : l'objectif principal de tout Product Manager étant de faire croître le produit. Il est en effet difficile de ne pas aller de l'avant lorsque vos primes dépendent du succès de votre produit. Cependant, dans une logique d'amélioration continue et de transparence, plusieurs entreprises décident de récompenser les décisions d'arrêt de produits à faible potentiel à condition d'argumenter sa décision et de rediriger l'investissement initialement prévu sur un produit de remplacement, idéalement disruptif.

Si vous êtes convaincu que votre produit fait plus de tort à votre entreprise que de bien, ayez le courage de le dire tout en gardant en tête qu'une analyse rigoureuse démontrant les gains pour l'entreprise est probablement la seule manière de vous en tirer.

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