Comment j’ai transformé le service client d’un géant du retail avec un chatbot 100% IA

  • mise à jour : 01 décembre 2025
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« Cost killing », satisfaction dopée, automatisation totale : l'IA générative promet de révolutionner le service client. Mais passer à l'échelle sans égratigner l'image de marque est un défi d'une tout autre envergure. Dans cet article, Claudio Torres (Principal Product Manager Data & AI chez Thiga Espagne) dévoile les coulisses du déploiement d'un chatbot 100 % GenAI chez un géant mondial du retail. Du premier prototype aux dizaines de millions de conversations gérées sans le moindre incident, récit d'une industrialisation réussie.

"Impossible. Trop risqué. Trop cher." Voilà ce qu’on m’a répondu quand j’ai proposé pour la première fois de remplacer notre ancien chatbot par une solution d’IA générative.

À l’époque, j’étais Senior Product Manager dans l’un des plus grands groupes mondiaux du retail et du retail. Plusieurs marques e-commerce, plus d’une centaine de marchés, des millions de clients chaque jour… Les enjeux étaient immenses. Mon mandat portait sur le service client, un terrain sensible et coûteux où chaque amélioration avait un impact immédiat. Mais laisser une IA interagir directement avec les clients représentait un risque réputationnel jugé trop élevé.

Un an plus tard, le chatbot que nous avons construit gère désormais des dizaines de millions de conversations par an, et il est déployé dans toutes les marques et tous les marchés du groupe. Les coûts ont baissé, la satisfaction client a progressé et, surtout, aucun incident n’a été signalé.

Voici comment nous avons démontré qu’il est possible d’industrialiser l’IA générative à l’échelle d’un grand groupe.

Du scepticisme au pari stratégique

Quand je rejoins le groupe comme Senior Product Manager, ma mission est claire : améliorer l’expérience digitale pour plusieurs marques e-commerce, actives dans plus de 100 pays.
Rapidement, le service client apparaît comme l’un des points névralgiques de l’expérience utilisateur. Chaque amélioration, même minime, a un effet immédiat sur les coûts et la fidélisation. Mais notre système repose sur un CRM vieillissant et un chatbot à base de règles, coûteux, peu efficace, et frustrant pour les clients. Le taux d’automatisation stagne, et les dépenses sont en hausse.

Les modèles d’IA générative commençant à se développer, je propose de les tester. La première réaction est un refus. Entre les risques juridiques, RGPD et ceux pour la réputation de la marque, les dirigeants sont catégoriques : la crainte de voir le chatbot faire une remarque déplacée est trop grande.

Puis arrive l’explosion médiatique autour de ChatGPT. En quelques mois, la direction change de cap : l’entreprise annonce désormais vouloir devenir “AI-powered”. Chaque département doit explorer des cas d’usage, y compris le service client. L’opportunité tant attendue est enfin arrivée.

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Construire le chatbot

Plutôt que de bricoler un système hybride, je fais le pari d’un chatbot 100 % basé sur un LLM.
À l’époque, aucune référence n’existe à l’échelle, pas même chez Salesforce, chez Google, ou Amazon. Il n’y a donc absolument aucun modèle dont s’inspirer.

Au départ, l’équipe se limite à deux personnes : un ingénieur et moi. Mon rôle est de poser la vision, convaincre les parties prenantes… et payer les pots cassés en cas d’échec. Rapidement, nous recrutons un data scientist à temps partiel. Pendant plusieurs mois, nous travaillons d’arrache-pied, habités par la volonté d’être les premiers à mettre en place un tel chatbot dans une grande entreprise.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas qu’une question d’égo. Industrialiser une technologie de rupture dans un grand groupe, c’est bien plus qu’un projet de service client : c’est un acte stratégique qui reconfigure la gouvernance, les arbitrages budgétaires et la feuille de route de l’entreprise. Avec ce projet, l’IA passait enfin du statut de démo expérimentale à celui d’infrastructure vitale pour l’opérationnel.

Un MVP infaillible

Dès le départ, les contraintes sont claires :

  • Réputation : tolérance zéro. Une seule mauvaise réponse, une capture d’écran sur les réseaux sociaux, et le bot serait coupé dans l’heure.

  • Coûts : notre chatbot ne doit pas coûter un euro de plus que l’ancien système. C’est non négociable.

  • Performance : le chatbot doit automatiser plus de conversations que le précédent.

Pour répondre à ces conditions, notre MVP doit être à toute épreuve. La tentation, avec une technologie nouvelle, c’est de foncer. Nous décidons de faire l’inverse.

Pendant près de trois semaines, nous ne construisons rien. En revanche, nous passons des heures à étudier le fonctionnement du modèle, et à le bombarder de requêtes offensantes pour voir s’il peut produire des réponses dangereuses pour la réputation de l'entreprise. Les requêtes sont tantôt longues, tantôt courtes, parfois alambiquées et le tout dans plusieurs langues différentes. Cette approche systématique nous permet de traiter plus de quarante langues via un seul processus, plutôt que d’entretenir des dizaines de flux différents.

Une fois notre chatbot terminé, il est temps de le tester. Pour ce faire, nous l’ouvrons aux employés du groupe avec une seule consigne : “Essayez de le casser”. Et malgré leurs tentatives, le chatbot tient bon. Il suffit d’un dernier test externe avant le déploiement complet. À ce jour, il n’y a toujours pas eu un seul incident à déplorer; on peut dire que c’est un succès.

Le déploiement à l’échelle du groupe

Stabiliser le MVP n’était qu’une étape. Restait à l’adapter aux différentes marques du groupe, chacune avec ses process et son identité. Après un premier lancement réussi, la complexité augmente rapidement. Notre défi devient alors de déployer la solution dans plusieurs marques, marchés et langues, et de le faire vite. Nous définissons une approche centralisée, scalable et simple à maintenir, tout en accompagnant la montée en compétence des équipes opérationnelles. Pour la première fois, le groupe dispose d’une façon unifiée de gérer son Customer Care Virtual Assistant.

Gérer la politique interne 

Si la partie technique est difficile, les luttes intestines sont autrement plus rudes.

En tant qu’équipe du service client, nous n’avons pas d’accès direct aux infrastructures de production. Nous sommes dépendants des serveurs, des clés API et de la puissance de calcul des équipes plateforme. Mais ces ressources sont rares, et chaque allocation prive un autre projet. Obtenir la priorité pour le nôtre nous demande de négocier encore et encore.

Nous sommes rapidement rappelés à la réalité budgétaire quand on nous annonce qu’il est impossible de faire cohabiter l’ancien et le nouveau chatbot. L’ancien doit être coupé le jour même du lancement du nouveau : notre solution de secours disparaît.

Enfin, le climat en interne est plus que tendu. Plusieurs pilotes IA ont été lancés en parallèle. Si certains souhaitent notre succès, la compétition reste rude. À l’heure où j’écris cet article, notre projet est le seul à avoir atteint la production.

J’en tire une leçon importante, que tous les dirigeants devraient retenir : il ne faut jamais sous-estimer la résistance de l’organisation face à la disruption.

L’heure du bilan

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Les coûts sont bien inférieurs à ceux de l’ancien système, les opérations ont été simplifiées au point qu’il n’est plus nécessaire de mobiliser des profils spécialisés, et la satisfaction client est en nette hausse. Le taux d’automatisation a presque doublé par rapport aux solutions précédentes. Cerise sur le gâteau : aucun incident réputationnel n’est survenu en plus de deux ans.

Ce qui n’était au départ qu’un pari risqué est devenu la colonne vertébrale du service client. Aujourd’hui, beaucoup de collaborateurs se demandent même comment ils faisaient avant ! Avec le recul, je retiens trois leçons pour tout dirigeant souhaitant déployer l’IA générative à grande échelle :

  • Fixez vos non-négociables. Pour nous, c’était le coût, le risque et la performance. Sans ces fondamentaux, le projet se serait enlisé dans les compromis.

  • Investissez autant dans la gouvernance que dans la technologie. Gagner des alliés, naviguer dans la politique interne, se voir allouer des ressources est aussi crucial que l’exécution technique.

  • Concevez pour le passage à l’échelle dès le départ. C’est ce qui nous a permis de passer rapidement d’un prototype à une plateforme mondiale.

La vraie réussite n’est pas d’avoir “fait de l’IA”. C’est d’avoir transformé le service client en un atout stratégique : plus économique, plus rapide, plus satisfaisant pour les clients et surtout conçu pour passer à l’échelle. Dans un monde où toutes les entreprises se proclament “AI-powered”, la véritable ligne de fracture n’est pas la technologie elle-même, mais sa capacité à être industrialisée.

Ce chatbot n’est pas seulement un outil de support plus performant : il a repositionné la relation client au cœur du business. Réduire les coûts tout en renforçant la fidélisation, c’est transformer un centre de coût traditionnel en actif stratégique. Voilà pourquoi l’IA, bien utilisée, n’est pas un gadget mais une infrastructure d’entreprise.

La réussite de ce projet tient moins au modèle utilisé qu’à l’alignement entre Business et Tech : gouvernance claire, priorités business assumées (satisfaction, ROI, scalabilité) et discipline d’exécution. C’est cet alignement, plus que la prouesse technique, qui détermine la capacité d’une organisation à survivre et prospérer à l’ère de l’IA.

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