“Le vrai danger pour les Designers, c’est d’ignorer la data”

  • mise à jour : 01 octobre 2025
  • 5 minutes
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Beaucoup de Designers misent tout sur l’IA pour rester légitimes. Pour Fanny Pourcenoux, Principal Product Designer chez Thiga, c’est une erreur : leur véritable levier d’influence n’est pas technologique, mais stratégique. Dans ce nouvel épisode de Convictions, elle appelle les Designers à devenir data-informed, pour pouvoir enfin s’asseoir à la table des décisions.

À ce qu’on entend depuis plusieurs mois, l’IA serait la planche de salut des Designers. Beaucoup considèrent que, pour continuer à peser dans les organisations, il suffira demain de savoir manier ChatGPT et Figma Make pour rester légitimes. Si c’est ce que vous pensez, sachez que je ne suis pas d’accord. Je ne crois tout simplement pas que l’IA suffise à augmenter les Designers.

En revanche, je suis certaine d’une chose : utiliser l’IA est une compétence cruciale, oui, mais elle n’est pas suffisante. Le vrai risque pour les Designers n’est pas de rater le train de l’IA , c’est de rester cantonnés à un rôle d’exécutants, incapables de démontrer leur impact stratégique. Et si l’IA va rapidement mettre en lumière d’excellents Designers, ce n’est pas tant elle qui va permettre aux autres de franchir ce cap. C’est leur capacité à manipuler la data. 

La data est un outil de gouvernance, pas de reporting

Depuis des années, la data est associée à des métriques de performance business : chiffre d’affaires, taux de conversion, rétention. Ces indicateurs sont évidemment clés, mais ils sont très éloignés du quotidien des équipes, car influencés par mille facteurs : la dernière campagne marketing, la saisonnalité, un bug technique... Pour un Designer, être évalué uniquement sur ces métriques, c’est être jugé sur des éléments qu’il ne maîtrise pas. Frustrant. Et surtout, réducteur. 

Car la data ne sert pas uniquement à mesurer la performance du produit. Elle peut (et doit) aussi servir à mesurer la performance des équipes elles-mêmes. Quand on suit régulièrement des indicateurs internes comme le nombre de cycles d’itération ou l’évolution du temps dédié à l’innovation, on peut agir sur la fluidification des process, la vélocité des cycles et in fine la capacité à lancer plus de bonnes features. Et, ce faisant, on met en lumière autre chose : la capacité de l’équipe à progresser, à gagner en maturité.

J'ai passé 12 années chez Contentsquare, une entreprise où la donnée constitue une partie intégrante de son ADN. Les Designers pouvaient montrer leur impact non seulement sur les parcours utilisateurs, mais aussi sur la manière dont l’équipe gagnait en efficacité collective en proposant des expériences moins attendues, plus abouties, le tout plus efficacement. 

Arrivée chez Thiga, j’ai effectué plusieurs missions dont une qui m’a menée dans une organisation où la data était globalement inaccessible. En conséquence, les Designers étaient condamnés à créer leurs prototypes (vite) dans le brouillard, sans pouvoir exploiter leur vraie valeur stratégique. La grosse différence entre ces deux contextes m’a d’abord frappée… Avant que je comprenne que, malheureusement, ce “verrouillage” de la data est en fait quasiment une norme. 

Car trop d’entreprises voient encore la data comme un outil de reporting réservé au management. On agrège des dashboards, on remonte des chiffres en comité, et on descend ensuite des décisions. C’est une erreur. La différence entre une organisation data-driven et une organisation data-informed est là : la circulation. Dans une structure data-informed, la donnée n’est pas accaparée par le sommet. Elle est accessible à tous, et chacun peut aller chercher les KPI dont il a besoin pour appuyer une recherche ou justifier une décision de Design. 

En rapprochant la décision du terrain, cette accessibilité change tout au quotidien. Elle permet à une équipe Produit de ne pas attendre trois semaines qu’un arbitrage redescende, mais de tester, mesurer et itérer tout de suite. La data ne doit pas être un outil de contrôle : c’est un outil d’autonomie.

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Ce que coûte l’absence de data

Ne vous y trompez pas ! Au-delà de la question de l’autonomie des équipes, ne pas être suffisamment data-informed coûte cher. On ne priorise pas les bons chantiers, on sous-estime l’effort humain nécessaire. Et troisième travers, qui peut sembler étonnant dans cette période où l’on encourage les équipes Produit à penser business… On privilégie trop souvent les besoins business au détriment des besoins utilisateurs.

Résultat : des parcours optimisés pour générer du lead mais qui dégradent l’expérience. J’ai vécu un projet de rebranding où la Brand voulait imposer sa vision des parcours au nom de la performance commerciale, en laissant complètement de côté l’utilisateur final et ses besoins réels. Côté Design, nous alertions sur l’impact négatif à prévoir pour l’expérience. Le débat aurait pu durer des semaines si la data n’avait pas permis de trancher. L’analyse quanti de la consommation de ces pages couplée à du quali a montré que le parcours conçu par l’équipe Design était justement la clé de la performance. Sans cette donnée, nous aurions cassé un acquis précieux.

À l’échelle d’une organisation, l’absence de circulation de la data crée un autre risque, auquel les décideurs ne pensent pas forcément immédiatement : le désengagement. Quand toutes les décisions sont concentrées en haut de la pyramide, les équipes perdent leur capacité à créer, à agir. Privés de discovery, les Designers se retrouvent cantonnés au seul delivery. Et quand on se retrouve à travailler sur la V12 du prototype du panier d’achat, la créativité s’éteint. Un comble quand on attend de ces mêmes équipes qu’elles apportent l’idée du siècle ! Tout ça crée une rupture entre la vision du management et celle sur laquelle l’équipe peut s’embarquer. Conséquence, les talents s’en vont.

Designers : arrêtez d’avoir peur des chiffres

J’ai beaucoup parlé des entreprises, mais les Product Designers ont aussi leur part de responsabilité. Je sais qu’il existe parmi nous une crainte diffuse de la data. Certains traînent même des traumatismes scolaires. Combien de fois ai-je entendu “les chiffres, ce n’est pas trop pour moi ! Moins je croise Excel, mieux je me porte” ? Mais à s’enfermer dans cette posture, on se condamne à rester éloigné de la table de décision.

Aujourd’hui, les PM et les Tech y sont assis comme deux partenaires stratégiques. Le Designer, lui, peine encore à s’imposer comme troisième voix. La raison ? Trop souvent, il n’a pas les bons arguments chiffrés pour peser. Tant qu’il ne saura pas relier ses choix à des KPI business, il restera vu comme une machine à prototypes.

La bonne nouvelle, c’est que c’est loin d’être une fatalité. J’ai vu des Designers juniors, tétanisés par l’idée de suivre un dashboard, progresser rapidement dès lors qu’on leur montrait que les métriques pouvaient devenir des alliées. Comprendre qu’un cycle plus rapide, un taux d’itération plus faible, un feedback client mieux exploité sont autant de preuves de leur valeur… ça change leur posture, et donc la manière dont on les écoute dans l’organisation.

Je suis convaincue qu’un Designer data-informed pourra remplacer un PM

Aujourd’hui, prendre ce virage est une urgence. Tout le monde le sait, l’IA rebat les cartes. Mais contrairement à ce que beaucoup prétendent, utiliser l’IA ne suffira pas à augmenter les Designers.

L’IA permet d’aller plus vite, mais elle ne garantit en rien qu’on prend la bonne direction. Un Designer qui travaille uniquement à l’intuition produira des prototypes plus vite, mais sans base solide. À l’inverse, un Designer data-informed saura nourrir l’IA avec les bons insights, les bonnes métriques, les bons signaux même faibles. Je vous garantis que le résultat sera incomparable.

Soyons clairs : le marché ne vous fera pas de cadeaux. Les entreprises font déjà des arbitrages, et les juniors peinent à trouver des postes. Je ne dis pas ça pour faire peur. Je le dis parce que je le vois : les Designers qui se limitent à l’exécution sont les premiers exposés aux coupes. Ceux qui savent démontrer leur impact, en revanche, sont gardés. 

Parce qu’ils auront prouvé qu’ils participent à la gouvernance, qu’ils savent défendre une roadmap avec des arguments factuels et qu’ils relient l’expérience utilisateur à la performance business. Dans certaines entreprises, je suis convaincue qu’un Designer data-informed pourra remplacer un PM. Parce qu’il sera capable de relier l’expérience utilisateur aux KPI business, chiffres à l’appui, et qu’il saura montrer que ses choix génèrent de la valeur.

Je ne crois pas au fantasme d’une IA qui ferait à elle seule le travail des équipes Design. Mais je crois à une IA qui viendra amplifier la valeur de celles et ceux qui auront appris à nourrir leurs décisions par la data. La différence entre un Designer qui disparaît et un Designer qui s’impose comme partenaire stratégique est là. Dans sa capacité à prouver, autant qu’à créer.

Aidez vos Designers à devenir des partenaires stratégiques ! Avec notre formation data-informed, vos équipes Design seront capables d’exploiter les bonnes métriques, d’aligner leurs choix sur les objectifs business et de renforcer leur impact stratégique. Vous avez un besoin ? Dites nous en plus !

 

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