leboncoin : comment la plus grande marketplace française s’est transformée grâce à l’IA

  • mise à jour : 17 juin 2025
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Chez leboncoin, l’intelligence artificielle ne se résume pas à quelques expérimentations. Depuis deux ans, la marketplace en a fait un véritable fil conducteur, intégré aux produits comme aux pratiques internes. Derrière cette accélération, une stratégie claire, des choix organisationnels forts, et surtout, une attention constante portée à l’impact. Comment une entreprise grand public adopte-t-elle l’IA sans céder à l’effet gadget ? Découvrez les coulisses de la transformation de leboncoin.

Certaines entreprises veulent à tout prix une fonctionnalité d’intelligence artificielle. D’autres, plus ambitieuses, en veulent une dizaine. Chez leboncoin, ce sont 70 features d’IA qui sont actuellement en production. Autant dire que cette technologie a pris une place de choix dans la stratégie globale de la plateforme ! En même temps, l’histoire entre la plus importante marketplace française et l’IA ne date pas d’hier. C’est en 2014 que leboncoin déploie son premier modèle de Machine Learning. Et quand on parle d’IA, 2014 c’est quasiment l’Antiquité ! 

Entre-temps, la révolution industrielle de ChatGPT et autres modèles d’IA générative met un coup d’accélérateur terrible à toutes les initiatives de ce type. Les équipes de leboncoin sautent sur l’occasion. Les cas d’usage s’enchaînent, se multiplient, transformant la marketplace en profondeur. Jusqu’à en faire une entreprise boostée à l’IA, de la cave au grenier. Retour exclusif sur deux années de travail qui ont fait entrer leboncoin dans une nouvelle ère.

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Bien plus qu’un gadget

Ludovic Hazart pose ses valises de Product Manager chez leboncoin en 2018. De ses expériences passées, cet ancien développeur front-end et engineering manager garde un goût prononcé pour la technique. - Pour lui, l’intelligence artificielle est une évidence, même si, à l’époque, les solutions sont encore jeunes et les cas d’usage complexes. Dès 2020, avant même son passage à la direction, certaines briques d’automatisation par IA sont déjà en place : recommandation de catégorie, pré-remplissage des critères de description, suppression de background sur les images ou encore floutage des plaques d’immatriculation pour protéger les utilisateurs. Les années passent, Ludovic Hazart progresse. L’IA aussi. Début 2023, deux ans après sa prise de poste en tant que Directeur Produit de la tribe Cercle Vertueux composée d’environ 250 personnes, l'avènement de la GenAI a lieu. Une véritable bascule : “On avait déjà un certain nombre de modèles, mais cette nouvelle technologie a permis de débloquer beaucoup de sujets. L’automatisation de la description au dépôt, par exemple. On avait tenté une dizaine de manières de l’adresser, sans jamais vraiment y arriver. Avec l’IA générative, on a résolu le problème très rapidement.

Aujourd’hui, les annonces peuvent être enrichies automatiquement, y compris sur la description. Un changement à fort impact, comme le précise Pauline Minary, AI Product Manager chez leboncoin : “Les annonces générées automatiquement ont gagné plus de 20% d’efficacité”. Et ce n’est qu’une transformation parmi tant d’autres ! Côté service client, un agent IA baptisé Markus rédige désormais une première réponse à certains tickets utilisateurs, en s’appuyant sur une base documentaire interne ainsi que sur des données utilisateur, pour une meilleure personnalisation des réponses. “Ce n’est pas un chatbot en frontal, mais une réponse automatique post-ticket. Et si ça ne convient pas, un agent humain prend le relais”, détaille Pauline Minary. 

Le bénéfice est clair. Sur l’ensemble des tickets, 40% sont traités par Markus. Bien que ce dernier puisse encore être perfectionné, avec un taux de réouverture des tickets de 50%, cela libère un temps non négligeable afin que les équipes puissent se concentrer sur les cas les plus complexes. Pour ce qui est de la transparence, même si la réglementation rendra bientôt la clarté obligatoire, la marketplace a décidé de la jouer franc jeu : une mention explicite a été intégrée dans les réponses générées par IA dès les premières expérimentations.

On ne cherche pas à transformer un seul secteur avec l’IA, on veut transformer le produit dans son ensemble.

Si leboncoin met historiquement l’intelligence artificielle au service de l’utilisateur final, les usages internes sont priorisés depuis quelque temps. Et changent déjà la donne, à l’image d’Ada. Nommé en hommage à Ada Lovelace, pionnière de la science informatique, Ada est le chatbot interne de leboncoin. Des propres mots de Pauline Minary, les principaux objectifs sont d'aider les collaborateurs à effectuer des tâches plus rapidement ainsi que retrouver plus facilement de l'information dispersée dans différents outils (tels que Confluence ou Backstage, l'outil de doc tech utilisé chez leboncoin).

Ada est rapidement devenu un outil indispensable. “Un employé sur deux l’utilise régulièrement. Et ça continue d’augmenter !”, sourit la Product Manager. Rien de surprenant, au vu des gains offerts par le chatbot : en plus d’assurer la sécurité des données, certaines tâches sont réalisées jusqu’à 70 % plus vite, selon des sondages réalisés auprès des employés. Mais Ada ne se contente pas de faire gagner du temps, et agit aussi comme un levier de transformation culturelle : en l'utilisant, les collaborateurs découvrent de manière tangible ce que l’IA peut leur apporter. Cela permet “d'ouvrir les chakras" — en particulier chez les équipes produit, qui s’en inspirent pour imaginer de nouvelles façons d’intégrer l’AI dans leurs propres fonctionnalités.

En interne, en externe… Chez leboncoin, l’intelligence artificielle est omniprésente. Une stratégie assumée par Ludovic Hazart : “On ne cherche pas à transformer un seul secteur avec l’IA, on veut transformer le produit dans son ensemble. Mais on veut le faire intelligemment, c’est-à-dire en la mettant là où ça fait sens”.

Prudence est mère de sûreté

Faire les choses intelligemment, c’est aussi savoir prendre son temps. Ne pas se précipiter, même si la ruée vers l’IA est tentante. Sur les sujets sensibles, comme la modération, l’entreprise avance avec prudence. C’est le cas du projet porté par Léo-Paul Pajotin, consultant Thiga arrivé au printemps 2024 pour accompagner l’équipe post-modération. L’objectif : automatiser le traitement d’une partie des signalements utilisateurs. 

La modération chez leboncoin, c’est tout sauf une mince affaire. Pour y faire face, Léo-Paul Pajotin propose d’explorer la piste de l’IA générative. L’idée est d’utiliser un LLM pour analyser les conversations signalées, et de juger si les propos tenus sont problématiques. Le modèle doit ensuite qualifier l’infraction, avant que le back-end ne prenne le relais.

Pour y parvenir, un dataset de 500 conversations est construit, analysé avec les experts métier. Chaque réponse du modèle est comparée à ce qu’un modérateur humain aurait fait. “Dans beaucoup de cas, les réponses du modèle étaient plus pertinentes que celles des partenaires humains”, constate le consultant. La prudence reste malgré tout de mise. “On a réglé le modèle pour éviter toute créativité inutile. On veut qu’il suive les règles à la lettre.” L’un des enjeux est d’éviter que le LLM soit trop sévère. “Il faut calibrer le modèle pour éviter de sur-sanctionner. Pour les mots ambigus, par exemple : "p*tain", selon le contexte, peut être une insulte ou une interjection. Ce sont des subtilités que le LLM doit apprendre à gérer”. Quoi qu’il en soit, chaque décision est justifiée par un extrait de la conversation. Et en cas de contestation, le dossier est repris par un collaborateur.

Au-delà du ROI, ce projet pose les bases d’un déploiement IA à grande échelle. “C’est un bon point de départ. Un moyen de gagner en confiance, et de poser les fondations d’un système industrialisable”, conclut Léo-Paul Pajotin. 

Mais pour que tout cela fonctionne, encore faut-il que l’organisation suive. “J’ai aussi fait beaucoup d’acculturation auprès de la relation client, raconte le Product Manager dépêché par Thiga. Il fallait leur expliquer comment on allait travailler ensemble, pourquoi leur expertise métier était cruciale, comment le modèle prenait ses décisions… Même côté développeurs, il a fallu rentrer dans l’architecture, parler structuration des prompts, intégration avec le back-end…” Bref, l’IA ne se branche pas comme un outil miracle. Elle s’apprend, se construit, se discute. Et c’est tout un changement culturel que leboncoin a dû orchestrer pour la passer à l’échelle.

Révolution totale

Car si l’intelligence artificielle change le produit, elle bouscule aussi l’organisation. Pour que l’IA prenne au sein de la marketplace, il a fallu faire preuve de pédagogie. “On a lancé une vraie stratégie d’acculturation. Il fallait poser le cadre, expliquer, former. Et surtout : aider les gens à se projeter. Je me rappelle de la keynote d’Oji Udezue, lors de La Product Conf 2024, où  j’ai entendu dire : 'Pour savoir ce que tu peux faire avec l’IA, il faut l’utiliser'. C’est exactement ça !”, résume Ludovic Hazart.

Un apprentissage par la pratique qui s’accompagne de formations dédiées. La plateforme a mis en place une stratégie de formation globale et d'accompagnement de tout le Produit (PM/Head Of/Direction/UX). Le but ? Permettre aux équipes d'appréhender, de monter en compétence et d'utiliser l'IA à l'échelle de leur métier mais aussi de se lancer concrètement dans cet univers. Pauline Minary, qui encadre le projet avec Ludovic Hazard, le justifie ainsi : “Le Product Manager de demain devra maîtriser les bases de l’intelligence artificielle. Pas forcément être expert, mais capable de piloter un projet d’intelligence artificielle..” Ce qui n’empêche pas leboncoin de vouloir, à terme, former l'ensemble des 1500 collaborateurs de la plateforme, en plus des équipes Produit.

Et tout le monde ne part pas du même niveau. “Le plus difficile, c’est de montrer concrètement comment l’IA peut aider dans le quotidien”, reconnaît-elle. Oui, il y a les cas d’usage évidents (synthèses, reporting) mais ce sont les petites frictions métiers, les processus répétitifs, les angles morts qui débloquent le plus de valeur. “C’est un travail de sensibilisation au cas par cas.”

Ce changement de posture ne va pas sans prises de conscience, parfois inconfortables. Elisa Gilles, Engineering Manager et co-lead du projet Ada, se souvient d’une question révélatrice, posée par un Head of : “Vous êtes en train de me dire que je peux allouer une ressource pour de l’IA… Sans être sûr que ça marche ?” Mais c’est ainsi que les mentalités évoluent. Que les équipes comprennent mieux l’intelligence artificielle, ses zones d’incertitude, ses coûts cachés et ses angles morts. Et qu’elles gagnent en maturité.

Il y a toujours eu une sorte de décalage entre le Produit et la Tech. Pour construire des produits utiles et pertinents, il faut créer du lien entre les deux

Au-delà de ce travail de fond, il a fallu repenser toute l’organisation. Jusqu’en janvier 2025, leboncoin fonctionnait avec une équipe centrale de data science, à la fois fournisseur de modèles et support transverse. Depuis, les Data Scientist ont rejoint les squads. Les PM, les développeurs et les leads techniques se retrouvent directement face à l’IA. “Avant, on demandait un modèle. Aujourd’hui, chaque équipe doit se poser les bonnes questions : y a-t-il de l'incertitude ? Quel est le risque en cas d’hallucination ? Est-ce qu’on a de quoi évaluer ?”, résume Pauline Minary.

Un travail de longue haleine

Déployer des fonctionnalités IA, c’est une chose. Les maintenir dans la durée en est une autre. Car derrière chaque prompt, il y a un risque : hallucination, erreur de contexte, réponse trop générique ou mal calibrée… “On reste vigilants, affirme Ludovic Hazart. Par exemple, pour la génération de descriptions, on ne force jamais la publication automatique. L’utilisateur doit valider.” 

Chez leboncoin, l’IA se met en place par étapes. Cela commence souvent par un système d’aide à la décision, avant de basculer, si les résultats sont bons, vers de l’automatisation. LLM et règles métiers sont associées : de cette manière l’IA propose, mais c’est l’humain ou le système qui cadre la réponse. “Tout repose sur une bonne évaluation, insiste Elisa Gilles. Au début, elle est forcément humaine. Puis, on peut passer à de l’évaluation IA, soit un LLM qui juge un autre LLM. Ça permet de passer à l’échelle.”

Même la “température” du modèle est surveillée. Plus elle est basse, plus l’IA se veut conservatrice - autrement dit, elle tend à coller aux règles, aux schémas connus et aux réponses les plus prévisibles. Mais à zéro, elle peut encore halluciner. “Ça fait partie du jeu. L’IA n’est pas infaillible… Les 20 % les plus complexes d’un projet LLM, ce sont ceux-là : maintenance, évaluation, monitoring. Ce sont eux qui demandent le plus de rigueur.” Pour l’Engineering Manager, l’amélioration continue est au cœur du projet... Au même titre que la mesure.

Car chez leboncoin, l’IA n’est jamais une fin en soi. C’est une solution potentielle, au même titre qu’une refonte UX ou qu’un changement d’interface  “On ne mettra jamais de l’IA juste pour en mettre, affirme Ludovic Hazart. On évalue les besoins, on regarde les hypothèses, et si l’IA est la meilleure réponse, on y va. Mais on regarde aussi les coûts, la complexité technique… et l’impact environnemental. On est une plateforme de seconde main, on se doit d’être cohérents.

Les 70 fonctionnalités actuellement produites par leboncoin ne sont qu’un début. Les équipes planchent déjà sur l’automatisation de la détection d’insultes, la validation de documents comme les Kbis, ou encore l’extension des descriptions générées à de nouvelles catégories. Un travail qui nécessite de continuer à renforcer la collaboration entre les différentes expertises.

Il y a toujours eu une sorte de décalage entre le Produit et la Tech”, confie Ludovic Hazart. Pour construire des produits utiles et pertinents, il faut créer du lien entre les deux.” Bien que le Directeur Produit de la tribe Cercle Vertueux reconnaisse qu’il y a encore du travail, il en est convaincu : ce pont entre Tech et Produit fait désormais partie de l’ADN de leboncoin. En témoignent les 700 collaborateurs du département P&T (pour Product And Tech) de la marketplace. Et l’intelligence artificielle n’y est pas pour rien.


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