Dans un monde en perpétuelle mutation, les transformations s’enchaînent au rythme des modes – digitale, Agile, IA – mais laissent souvent les organisations épuisées et les équipes déboussolées. Et si on changeait de regard ? Pour les équipes de Thiga, un changement bien mené se conçoit comme un produit : pensé pour ses “utilisateurs”, testé en conditions réelles, itéré selon les retours du terrain. Clément Schrepfer, expert en organisations Produit, présente dans cet article l'approche "Change as a Product", qui remet l'impact et l'expérience des collaborateurs au coeur des transformations.
L’entreprise et son organisation sont comme des organismes vivants. Ils doivent réussir à fonctionner en autonomie tout en sachant s’adapter à leurs environnements. Les grands mouvements de transformation sur le marché - “Digitale”, “Agile”, “Produit”, “IA” - mettent les organisations sous tension : s’adapter devient une condition de survie. Les programmes de transformation s’enchaînent pour suivre le rythme, épuisant les organisations, essoufflant les équipes.
Un paradoxe émerge : comment concilier besoin de stabilité pour s’épanouir et nécessité d’évolution face à un marché en mutation ? Trop souvent, les discours sur l’agilité ou la transversalité s’attardent sur l’approche dogmatique, masquant un flou stratégique. Résultat : des projets lancés en parallèles déconnectés du terrain, sources de résistance et de lassitude.
Chez Thiga, en considérant la transformation comme un produit, nous proposons un autre regard. Une expérience à concevoir, tester, faire adopter, améliorer. Pas un plan figé à dérouler.
C’est tout l’esprit de notre approche : Change as a Product.
1. Changer pour quoi ? Priorisez le focus stratégique
Dans la démarche “Produit”, tout commence par une stratégie claire, qui permet de donner un cap, un focus. Une transformation ne devrait pas être lancée pour suivre une mode ou répondre à un vague sentiment d’inefficacité. Car transformer sans intention ne crée pas de valeur. Il faut d’abord se demander : que cherche-t-on à débloquer pour mieux servir la stratégie ?
Chez Thiga, nous voyons la transformation comme un accélérateur stratégique, au service des objectifs business, pas comme une fin en soi. Elle doit créer de la valeur, pour l’entreprise et pour les collaborateurs.
Pour cela, nous partons d’un diagnostic terrain : blocages, frustrations, manque de clarté, délais, démotivation… Autant d’indices à investiguer pour cibler les vrais problèmes à résoudre :
- la stratégie est-elle bien comprise et partagée ?
- les prises de décisions sont-elles claires et suivies ?
- les rôles et responsabilités sont-ils clairs pour tout le monde ?
- les réunions sont-elles efficaces ?
- la collaboration inter-équipe se déroule-t-elle bien, sans accroc ni manque ?
Une “transformation” est justifiée si elle aide à mieux atteindre les objectifs.
L’approche “Change as a Product” ne dit pas quoi faire évoluer, mais comment le faire, de manière exploratoire, itérative et priorisée par l’impact. Elle articule stratégie business et épanouissement des collaborateurs.
À ce stade, la transformation prend la forme d’un backlog d’initiatives priorisées, évaluées.
2. Changer pour qui ? Garantissez l'adoption à long terme
Une transformation d’entreprise ne s’adresse pas à une entité abstraite. Elle concerne des personnes bien réelles, avec des responsabilités, des contraintes, des doutes, des habitudes. C’est pour cela que l’on se doit de “partir du terrain” si l’on souhaite être pertinent dans nos recommandations et que celles-ci soient adaptées, acceptées et adoptées sur le long terme.
Avec l’approche Change as a Product, nous appliquons les réflexes de Product Discovery. On mène des entretiens qualitatifs, on cartographie les interactions, on observe les rituels existants, les décisions, les décalages entre la théorie et la réalité, entre “ce qui est dit” et “ce qui est fait”.
Les outils du Product Design s’avèrent ici très puissants :
- Pain point mapping pour identifier les véritables irritants,
- Personas internes pour modéliser les attitudes face au changement,
- Jobs to be done organisationnels pour capturer les besoins réels des différents métiers,
- Blueprints ou userflows de l’organisation pour schématiser les flux et points de friction.
En plaçant les collaborateurs au centre, la transformation gagne en crédibilité. Co-construite avec les équipes, elle s’adapte à leur réalité plutôt que d’imposer un cadre désincarné - limitant ainsi résistances et usure.
Chaque initiative de changement à mettre en place doit développer des capacités organisationnelles : clarifier les rôles, renforcer l’arbitrage, structurer les synchronisations, diffuser la culture de la mesure… Autant de leviers concrets pour fluidifier la collaboration au service de la stratégie.
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3. Changer comment ? Itérez en pilote à tous les niveaux
Identifier ce qu’il faut faire évoluer, c’est une chose. Le faire efficacement, sans casser ce qui fonctionne ni épuiser les équipes, c’en est une autre. Pour cela, nous empruntons une autre brique du Product Management : le Minimum Viable Product (remplacer ici Product par Organisation).
L’idée est simple : plutôt que d’imaginer une organisation cible sur papier, on la teste, en vrai, à petite échelle, dans un périmètre pilote. Une équipe, un produit, une tribu : là où l’on peut expérimenter un mode de fonctionnement cohérent avec l’intention stratégique, pour vérifier nos hypothèses.
On transforme moins, mais mieux - non pas un simple pan de l’organisation, mais l’ensemble du fonctionnement dans le périmètre pilote. Et on agit sur trois dimensions en parallèle, des leaders à l’opérationnel :
- la structure de l’organisation (topologies d’équipe, gouvernance, responsabilités),
- les pratiques opérationnelles des équipes (rituels, outils, processus, synchronisations),
- les opérations et postures individuelles (autonomie, ownership, capacité à décider).
Comme en mode Produit, le meilleur moyen d’atteindre l’impact visé, c’est de tester en conditions réelles et d’itérer en cycles courts. Ce test grandeur nature fait émerger des apprentissages concrets, nourrit les ajustements par le feedback terrain et favorise des solutions sur-mesure, loin des approches dogmatiques.
Ces cycles sont souvent appelés “saisons” : chacun avec son intention (initiatives clés), ses indicateurs (objectifs visés) et ses boucles de feedback (rétros, baromètre).
Chaque saison est l’occasion de répondre à des questions centrales et d’ajuster à la saison suivante :
- Quelles capacités voulons-nous renforcer maintenant ?
- Quels signaux cherchons-nous à observer dans l’organisation ?
- Comment saurons-nous que ça prend ?
- Ce cadre “saisonnier” donne du rythme, de la lisibilité, et permet de piloter par l’apprentissage terrain.
Gérez les dépendances avec le reste de l’organisation
L’un des risques de la mise en place d’un périmètre pilote est de créer une organisation à deux vitesses : une équipe qui expérimente de nouveaux modes de fonctionnement, face au reste de l’organisation, encore alignée sur les anciennes pratiques.
Ce décalage peut générer des tensions, voire freiner la dynamique de transformation si les interdépendances ne sont pas anticipées.
C’est pourquoi le choix du périmètre pilote est clé. Idéalement, on privilégie un périmètre :
- assez mature, disponible et volontaire pour essayer de nouvelles pratiques et ainsi atteindre de nouveaux résultats,
- suffisamment stratégique et autonome dans son fonctionnement quotidien,
- mais également connecté à l’organisation, pour que les apprentissages soient pertinents et réutilisables.
Et quand des dépendances existent, il est essentiel de travailler les interfaces avec l’environnement immédiat du pilote : autres équipes Produit, métier ou Tech, fonctions support, managers voisins, directions métier impliquées, …
Cet écosystème “non transformé” doit être accompagné, pour ne pas être mis devant le fait accompli :
- en l’informant des objectifs du pilote,
- en lui partageant les succès et apprentissages,
- en intégrant ses feedbacks et spécificités,
- et en préparant son alignement progressif au modèle cible.
Le périmètre pilote ne doit pas être une bulle isolée, mais une cellule connectée au reste de l’organisation. Ce qu’il expérimente doit pouvoir être compris, absorbé ou adapté par l’ensemble de son environnement lors des prochaines saisons.
4. Faire vivre le changement : soignez l'expérience d'on-boarding.
Adopter un changement c’est en comprendre le sens, en percevoir l’utilité et réussir à s’y projeter mentalement ou, encore mieux, par la pratique. La transformation ne prend donc que si elle fait sens pour ceux qui la vivent, ce n’est pas simplement suivre une formation.
Comme pour un produit, une transformation ne réussit pas par sa seule qualité théorique, mais par sa capacité à être comprise, appropriée et intégrée. Cela demande narration, cohérence et orchestration. Les méthodes du Product Marketing offrent ici des pratiques précieuses : soigner l’onboarding, rythmer les messages, accompagner la rencontre entre une nouveauté (un changement) et ses “utilisateurs” (les collaborateurs).
Concevoir un onboarding de transfo, c’est :
- S’assurer de porter un message clair et sincère sur le "pourquoi",
- Distribuer et commenter des supports activables,
- Monter des équipes pour piloter, faire avancer et accompagner les évolutions,
- Définir un rythme pour des moments d’échange et poser des questions,
- et surtout : Donner à voir des résultats visibles, rapidement.
Le périmètre pilote (MVO) devient alors un support de communication : les équipes en parlent, les signaux positifs et les preuves s’accumulent. Le nouveau fonctionnement devient crédible parce qu’il est observable. C’est un vecteur d’inspiration pour les autres collectifs.
Si l’organisation est un produit, le changement en est l’expérience, et l’exécution efficace de la stratégie, sa réussite.
Dans cette approche, le rôle d’accompagnant au changement prend une forme nouvelle :
- Nous ne pilotons pas la diffusion d’un message,
- Nous concevons une expérience d’adoption progressive,
- Nous installons des boucles de feedbacks,
- Nous aidons à faire remonter, ajuster et valoriser les preuves de transformation.
Le framework EnCADReS nous permet par exemple de préparer un changement engageant grâce à l’activation de 6 leviers psychologiques pour favoriser la capacité naturelle à changer des équipes. Le modèle de “discours mobilisateur” en 8 points est d’ailleurs un bon exercice pour engager les équipes en kick-off :
5. Mesurer l’impact : croisez les indicateurs.
Mesurer l’impact d’une transformation ne se limite pas à suivre l’adoption de nouveaux rituels, outils ou l’atteinte d’un jalon. Elle se mesure à ce qui a changé pour de vrai, au regard des objectifs de résultats.
Dans notre approche de recherche d’impact positif sur l’application de la stratégie d’entreprise, la mesure d’impact croise quatre types d’indicateurs :
- Les impacts sur les objectifs business : KPI des produits, réduction du Time to Market, amélioration de la satisfaction client, progression de l’autonomie, …
- Les modifications réelles des pratiques : fréquence des rituels, taux de décisions prises au bon niveau, clarté perçue, …
- Les signaux comportementaux faibles : évalués avec le baromètre EnCADReS, pour capter le niveau d’adoption et la dynamique humaine (motivation, acceptation, capacité de résilience, appropriation, …).
- L’amélioration des capacités organisationnelles, au regard des grands principes Produit (vus dans le premier schéma de l'article)
Cette approche permet d’identifier les effets positifs pour les valoriser, les frictions persistantes pour les adresser et les ajustements nécessaires pour continuer d’itérer.
Comme pour un produit, un plan bien ficelé ne garantit rien : seul l’usage compte. Et pour favoriser l’usage, il faut concevoir une expérience adoptable, mesurable, ajustable.
Ce sont donc les indicateurs croisés (usage réel et impact business) qui permettent d’évaluer, objectivement, l’efficacité d’une transformation.
Accompagner une transformation avec l’approche “Change as a Product”, c’est aborder le changement avec la même exigence d’impact, la même obsession de l’usage et la même humilité face à la réalité du terrain qu’une équipe Produit.
C’est une posture différente, qui implique de :
- penser chaque transformation comme un levier d’impact business,
- concevoir chaque transfo comme une expérience humaine.
C’est cette double ambition, stratégique et expérientielle, qui permet aux organisations de ne plus subir le changement, mais de l’activer avec justesse.
Alors, la prochaine fois que vous entendez « plan de transformation », posez-vous ces questions simples :
- Et si c’était un produit ?
- Qui sont mes utilisateurs ?
- Qu’est-ce que je livrerais en premier ?
- Comment saurais-je que ça marche ?
- Et surtout : Quelle expérience je veux leur faire vivre ?
Si l’organisation est un produit, le changement en est l’expérience, et l’exécution efficace de la stratégie, sa réussite.