Piloter les coupes budgétaires sans perdre en impact : mode d’emploi pour un portefeuille digital éclairé

  • mise à jour : 21 octobre 2025
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Avec le ralentissement économique, la rigueur budgétaire s’impose partout. Pourtant, entre exigence de contrôle et besoin d’innovation, beaucoup d’organisations retombent dans un vieux réflexe : piloter leurs produits comme des projets. Résultat : perte d’agilité, démotivation des équipes et valeur en berne. Sarah Djellouli, experte en organisations et en stratégie Produit chez Thiga, donne dans cet article un cadre pour distinguer l’investissement Produit de l’exécution projet, et concentrer les ressources là où elles créent un véritable avantage business.

Depuis plusieurs mois, avec le ralentissement global de l’économie, la rigueur budgétaire s’est imposée comme une norme. Mais dans le même temps, rester innovant et réactif est plus que jamais vital. Pourtant, un vieux réflexe refait surface : gérer les produits… comme des projets.

Autrement dit, le triptyque “budget – délai – périmètre” fait son grand retour.

Ce cadre rassure en apparence. Il donne au comité de direction le sentiment de contrôle en période d’incertitude. Mais derrière cette façade rationnelle se cache une mécanique bien plus pernicieuse :

  • Un affaiblissement de l’agilité business : en verrouillant les marges de manœuvre, l’organisation sacrifie sa capacité d’adaptation et de différenciation.
  • Un désengagement des équipes Produit : privées de vision long terme, elles perdent le sens de leur travail… et finissent par lever le pied, voire quitter le navire.

Je ne remets pas en cause la nécessité d’un contrôle budgétaire en période d’incertitude. Mais piloter les produits selon le triptyque “budget – délai – périmètre” revient à brider l’agilité business — alors même qu’elle est plus essentielle que jamais.

Alors, comment faire autrement ? Comment répondre à des exigences légitimes de pilotage… sans renoncer à ce qui fait la force du Produit ?

C’est tout l’objet de cet article.

Mais avant de parler solutions, prenons un moment pour nommer clairement le problème de fond : le flou sur ce qu’est un “produit” dans un portefeuille digital.

Un flou qui coûte cher

Quel que soit le secteur ou la taille de l’organisation, le flou entre produit et projet reste un angle mort stratégique.

Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas une question de maturité technologique, mais bien de clarté dans la structuration et le pilotage des activités digitales.

Trois scénarios reviennent systématiquement :

Scénario #1 : Tout devient “produit” (même ce qui ne l’est pas)

On appose le mot “produit” sur n’importe quel sujet digital.

Résultat : un Product-washing qui dilue le sens, décrédibilise le product management… et finit par démotiver les talents Produit, qui ne s’y retrouvent plus.

Scénario #2 : Tout reste géré en “projet IT/Digital”

À l’inverse, certaines organisations considèrent encore qu’un produit n’est qu’un projet déguisé. On le lance, on le livre, on le clôture. Résultat : un retard sur les concurrents accumulé, peu de valeur créée dans la durée et une difficulté croissante à attirer les bons profils.

Scénario #3 : Un flou total entre produit et projet

PO, Proxy PO, PM, chef·fe de projet digital, etc. : les rôles s’accumulent sans distinction claire. Les périmètres se recoupent, les décisions deviennent floues, les responsabilités s’érodent. Résultat : une mesure d’impact brouillée et un budget mal alloué.

Le point commun à ces dérives ? Une absence de taxonomie claire entre produit et projet.

Et la conséquence est directe : les arbitrages budgétaires deviennent simplistes. On applique un -10 %, -20 % ou -30 % linéaire à l’ensemble du portefeuille digital sans distinguer ce qui relève de l’investissement produit stratégique et ce qui tient de l’exécution projet à durée de vie courte.

Résultat : on coupe partout, y compris là où cela fragilise le business. On fige des produits à fort potentiel. On freine des dynamiques d’usage. On pénalise la valeur… au nom de l’équité budgétaire.

Vous l’avez donc compris : avant de décider où couper, il faut d’abord clarifier la différence entre produit et projet.

Produits et projets : deux logiques différentes et deux forces complémentaires

Chez Thiga, nous défendons une idée simple : produit et projet ne s’opposent pas. Ils se complètent.

Ils répondent à deux logiques différentes :

  • Le projet est ponctuel : un livrable unique, un périmètre défini, une date de fin.
  • Le produit est continu : un cycle d’apprentissage permanent et une équipe stable qui maximise la valeur sur le long terme.

Le sujet n’est donc pas de savoir quand activer l’un ou l’autre :Projet vs produit

La différence entre Produit et projet

Comment décider ?

Un outil puissant nous y aide : le Core Domain Chart (Merci Nick Tune).

  • Le mode produit  s’applique sur les domaines cœur (Core Domains) : Là où se joue la différenciation. On investit dans la durée : équipes pérennes, stratégie claire, amélioration continue.
  • Le mode projet s’applique sur les domaines périphériques (Générique / Support) : Là où il s’agit de standards ou de besoins réglementaires. Une approche projet bien cadrée suffit : on livre, on stabilise et on passe à autre chose.Core Model Chart
Le Core Domain Chart est un outil qui permet de choisir entre Produit et projet

Cet arbitrage n’est pas théorique. Il permet d’éviter deux écueils :

  • Tout traiter en projet et étouffer la capacité d’adaptation.
  • Tout basculer en produit et diluer l’effort là où la valeur ne se joue pas.

Mais concrètement, où et comment on coupe le budget ?

C’est la question que beaucoup se posent et elle est légitime.

En période de tension économique, il ne s’agit pas simplement de “réduire les coûts” mais de faire les bons arbitrages, ceux qui préservent (ou accélèrent) la création de valeur.

Pour les projets, la mécanique reste classique :

On agit sur le périmètre ou le planning :

  • On réduit les fonctionnalités livrées,
  • Ou on étale dans le temps pour lisser l’effort budgétaire sur plusieurs exercices.

C’est une logique de pilotage relativement linéaire et prévisible.

Pour les produits, le raisonnement est plus fin.

Il faut arbitrer en fonction de la valeur réelle, du risque, et de la dynamique marché.

Voici les leviers clés à activer :

1. Évaluer le niveau de risque produit par produit

Chaque produit a un profil différent. Chaque produit a son propre profil. Avant toute coupe budgétaire, deux questions essentielles :

  • Quel investissement est pertinent au regard du ROI attendu ?
  • Quel est le coût réel d’une réduction budgétaire – en termes de valeur, de risque, d’impact client et d’impact sur les talents ?

2. Adapter le budget à la performance réelle

Toutes les initiatives ne se valent pas et c’est sain.

  • Réduisez ou stoppez un produit qui ne démontre pas (ou peu) de valeur.
  • Maintenez le budget sur un produit qui atteint ses objectifs.
  • Renforcez (si possible) un produit qui surperforme : c’est là que l’effet de levier est le plus fort.

L’idée n’est pas de “punir” ou de “récompenser” mais de réallouer le budget de manière stratégique.

3. Surveiller les signaux faibles du marché

Le budget ne se pilote pas uniquement en interne, les évolutions du contexte doivent guider les ajustements. A observer notamment :

  • Les changements dans les usages clients,
  • Les tensions ou opportunités réglementaires,
  • Les mouvements de concurrents,
  • Les ruptures technologiques à venir.

En résumé

Lorsque j’accompagne mes clients dans le pilotage de leur portefeuille digital notamment dans des contextes de coupures budgétaires je commence toujours par la base : clarifier la frontière entre produit et projet, on cartographie, on nomme et on aligne.

Puis, on construit des arbitrages structurés : en croisant niveau de risque, performance réelle et signaux du marché.

Ce travail n’est jamais évident. Il implique des discussions challengeantes avec des CPO, CTO et CFO mais ce sont précisément ces conversations qui permettent de structurer un langage commun et de poser les bases d’un pilotage lucide, aligné, stratégique.

Au fond, le sujet n’est pas “où couper”, mais comment piloter intelligemment les efforts pour préserver, voire renforcer, la création de valeur de l’organisation

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