Lors de l’événement Canvas 25 organisé par Miro, j’ai eu le plaisir d'intervenir en tant que consultant en transformation Produit à une table ronde consacrée à un sujet d’actualité brûlante : "L’IA au cœur du changement : comment piloter l’innovation Produit et la transformation ?".
Pour préparer cette prise de parole, j’ai échangé avec plusieurs membres du Thicrew afin de croiser nos retours de terrain et d’ancrer la discussion dans la réalité de nos missions. Cet article synthétise les apprentissages collectifs que nous tirons de ces premières phases de transformation liées à l’introduction de l’IA dans les équipes et les systèmes organisationnels.
Un écosystème d’apprentissage
L’IA bouleverse autant les individus que les organisations. Mais elle ne se pilote pas comme une transformation descendante classique. Elle se vit comme une dynamique d’apprentissage à trois niveaux :
- Individuel : apprendre à travailler avec l’IA, à en connaître les limites autant que les forces.
- Equipe : redéfinir qui et comment on produit, qui valide, qui apprend.
- Organisationnel : transformer les systèmes de décision, les rôles, la gouvernance.
Autrement dit, il ne suffit pas d’avoir des individus augmentés si l’organisation reste rigide.
Pour les leaders, cela nécessite 2 types de postures différentes : au niveau des équipes, il faut ouvrir des micro-labos d’expérimentation, au niveau de l’organisation, il faut orchestrer et guider l’effort en capitalisant sur leurs apprentissages.
L’IA comme révélateur culturel
Aujourd’hui l’IA ne transforme pas encore la culture d’une entreprise, elle en révèle la nature profonde. Les organisations qui avancent sont celles qui ont déjà ancré une culture d’expérimentation et de responsabilisation locale. Là où la culture est fondée sur la méfiance et l’aversion au risque, l’IA n’apporte que peu de valeur. Là où la culture valorise l’initiative, elle décuple l’innovation, comme le souligne Benjamin Danel, expert Transfo et IA chez Thiga : "L’enjeu n’est pas uniquement d’avoir une stratégie IA, mais une culture qui rend son exécution possible."
Cette différence culturelle se retrouve dans la manière dont les cas d’usage émergent : rarement du top management, souvent du terrain. Les leaders efficaces ne conçoivent pas les usages : ils les repèrent, les amplifient et les relient.
C’est précisément ce qu’ont mis en place Décathlon et Renault, en créant le rôle de catalyst pour accompagner les équipes au plus près du terrain. Ces profils hybrides facilitent les expérimentations IA directement avec les équipes business. En parallèle, l’organisation a structuré un système d’apprentissage collectif, où les product managers partagent régulièrement leurs retours d’expérience sur les cas d’usage IA, dans une logique d’amélioration continue distribuée.
Le ROI de l’IA : arrêtons de compter les heures, commençons à compter ce qu’on en fait
Le ROI de l’IA ne vient pas du temps gagné, mais de ce que l’on va faire de ce temps.
Gagner du temps n’est qu’un levier; ce qui importe vraiment, c’est son réinvestissement. Plus de contact client ? Plus de veille stratégique ? Plus de temps avec ses équipes ? Encore faut-il que ces possibilités soient cadrées et valorisées.
Une personne plus rapide, dans un système inchangé, reste contrainte par les goulets d’étranglement du flux. Accélérer une étape sans transformer l’ensemble, c’est simplement déplacer le problème.
Et lorsqu’une personne gagne du temps, que faire de ce capital ? Le réinvestir n’a de sens que si l’on crée les conditions pour que ce temps soit utile : permettre aux personnes d’explorer de nouveaux rôles, de contribuer à des chantiers transverses, ou de se former sur des sujets en dehors de leur périmètre initial. Sans accompagnement et sans vision partagée, ce temps libéré risque de rester inexploité. "Ce n’est pas au contributeur individuel de réinventer son job dans le vide. Il faut un cadrage clair : quoi faire de ce temps libéré ? Comment il crée de la valeur ?" souligne Abdessamad Benhalima, directeur de la Tribe Data & IA de Thiga.
ROI et IA : une opportunité pour renforcer l'acuité économique des équipes produit
Mesurer le ROI, c’est aussi comprendre les coûts. L’IA n’est pas gratuite : chaque token, chaque requête, chaque modèle entraîne un coût à la fois financier, énergétique et opérationnel. À cela s’ajoute un autre poste souvent sous-estimé : le coût des compétences, qu’il s’agisse des experts IA nécessaires pour concevoir et déployer les solutions, ou de ceux qui devront ensuite assurer le run, la maintenance et la supervision continue des modèles.
Dans ce contexte, développer une acuité économique devient donc essentiel. Cela signifie savoir combien coûte un usage, mais aussi évaluer sa réelle contribution à la création de valeur. Cette exigence s’applique tout particulièrement aux équipes produit, appelées à arbitrer et hiérarchiser les cas d’usage en fonction de leur impact sur l’ensemble du système.
Le ROI suppose une responsabilisation économique : on ne peut plus piloter à l’aveugle un système qui facture à la requête. Comprendre le modèle de coût, c’est aussi renforcer la pertinence des choix stratégiques. Pour les product managers, c’est une opportunité concrète de muscler leur business acumen : en liant choix fonctionnels, coûts d’usage et valeur créée, ils renforcent leur impact sur les arbitrages stratégiques.
Piloter l’IA comme un portefeuille produit
Beaucoup d’organisations font face à une explosion du nombre de cas d’usage potentiel : à titre d'exemple, plus de 300 ont été identifiés chez un de nos clients, un géant de l'automobile. Désormais, la compétence clé dans l’organisation n’est plus l’identification, mais la priorisation.
Cela suppose une gouvernance explicite :
- Quelle vision stratégique guide les investissements IA ?
- Quels cas d’usage faut-il arrêter, et sur quels critères objectifs s’appuyer pour décider de poursuivre ou non un investissement ?
- Quels critères de valeur appliquer ?
Ce pilotage par portefeuille devient le signe distinctif d’une maturité IA : arbitrer, concentrer, capitaliser. C’est une logique bien connue dans les organisations produit, où l’on structure les investissements par valeur, par impact utilisateur, par risque. Appliquée à l’IA, cette logique permet d’éviter la dispersion des initiatives et d’aligner les efforts d’expérimentation avec une trajectoire stratégique claire.
Leadership : exemplarité, engagement et apprentissage partagé
Le leadership dans un contexte IA, ce sont des leaders qui incarnent les comportements attendus des équipes : curiosité, apprentissage actif, expérimentation. Ceux qui avancent le plus vite sont ceux qui se forment, explorent les outils eux-mêmes, participent aux pilotes et s’impliquent concrètement dans les usages. "Les leaders qui avancent le plus vite sont ceux qui se frottent eux-mêmes à l’usage : ils testent, ils expérimentent, ils challengent les équipes à partir de ce qu’ils ont vu", explique Pierre Carpentier, expert agentique chez Thiga
La responsabilité des leaders est double :
- Créer un cadre d’exploration sûr, où les échecs sont permis, discutés et analysés sans jugement.
- Orchestrer les apprentissages, non pas pour standardiser trop vite, mais pour capitaliser sur les micro-initiatives du terrain et en faire un actif collectif.
Créer les conditions du changement, c’est accepter que tout ne soit pas défini d’avance. Cela implique d’ouvrir des espaces où l’expérimentation est permise, où les réponses se construisent progressivement, au contact du terrain. Les leaders qui assument cette incertitude et accompagnent les équipes dans ce cheminement renforcent la confiance collective. Ce n’est pas en verrouillant les méthodes que l’on accélère, mais en rendant l’apprentissage possible et visible.
Conclusion : penser transformation, pas seulement productivité
Pour aller au-delà des gains de productivité, il faut comprendre que l’IA ne se limite pas à l’automatisation de tâches. Elle engage une transformation bien plus profonde : celle des organisations, de leurs modes de fonctionnement, de leurs façons de décider, de collaborer, d’apprendre.
C’est un défi complexe, à la fois technique, humain et culturel. Il ne se résout ni avec des outils, ni avec des process standardisés, mais avec une capacité collective à apprendre, à prioriser, à se transformer. Piloter l’IA, ce n’est pas adopter un outil. C’est faire évoluer durablement la manière de créer de la valeur, ensemble.
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