“Product Managers, vous avez le pouvoir d’être des super-héros climatiques”

  • mise à jour : 21 mai 2025
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Et si les grandes décisions Produit étaient aussi des décisions climatiques ? On pense souvent que la soutenabilité numérique se joue dans les data centers. En réalité, tout commence plus tôt : dans les choix Produit, les arbitrages, les priorités. Dans cette tribune, le cofondateur de Climate Product Leaders François Burra rappelle aux Product Managers qu’ils ont un rôle clé à jouer. Pas de reproches ici, mais un appel : trouvons le bon équilibre entre le respect des besoins business et des limites de la planète. 

Climate Product Leaders, c’est l’histoire d’une épreuve personnelle devenue une belle énergie collective. Tout commence avec une dépression. À ce moment-là, cela fait plus de dix ans que je suis dans le numérique : Product Lead, UX designer, stratège digital. Une carrière intense, enrichissante. Exigeante, aussi. Puis arrive le Covid. Et un beau jour, je craque. Burn out. Et une question, qui revient sans cesse : à quoi je sers, au juste ? 

Je prends une année sabbatique. Un an pour reconnecter mon corps et mon esprit, comprendre, me reconstruire. Et c’est là que je renoue avec mes premiers amours. Avant de faire une école de commerce, j’avais envisagé des études dans les énergies renouvelables. L’éolien, le solaire… ça me passionnait. Cette pause d’un an est l’opportunité de réconcilier mes compétences et mes convictions. De contribuer à la lutte contre le changement climatique, mais avec mes compétences propres. C’est là que tout bascule. Je vois comment mon métier - le Produit - peut être un levier d’impact, pas un simple gadget pour verdir les bilans. Et je décide de m’y consacrer. 

Une opportunité plus qu’une contrainte.

Quand on parle de l’impact environnemental du numérique, on pense d’emblée data centers, lignes de code, infrastructures… Ce dont je me suis rendu compte, c’est que la vraie bascule se joue bien avant : dans les choix Produit. Est-ce qu’on a besoin de cette fonctionnalité ? Est-ce qu’on doit vraiment collecter autant de données ? Est-ce que notre modèle de croissance est soutenable ? Est-ce que l’IA qu’on ajoute là répond à un besoin réel, ou c’est juste pour cocher une case ? Autant de questions que les Product Managers peuvent se poser. 

La responsabilité n’est pas une culpabilité de plus à ajouter sur les épaules des équipes Produit. C’est une opportunité.

Parce qu’ils sont à la croisée des chemins, entre la Tech, le business, et les utilisateurs. Parce qu’ils arbitrent. Parce qu’ils priorisent. Et aussi (et surtout) parce qu’ils influencent. Quand un PM décide de prioriser telle ou telle fonctionnalité, il influence directement l’empreinte environnementale du produit. Il oriente la charge serveur. Il détermine la complexité du système. Il façonne l’usage — et donc l’impact. Tant qu’on relègue les questions d’impact aux ingénieurs ou à la RSE, on passe à côté du vrai sujet : la soutenabilité d’un produit se décide d’abord en amont. Dans le cadrage. Le besoin. L’intention. Dans les moments invisibles mais décisifs où l’on fait ou défait la complexité. 

Ne vous méprenez pas ! Je ne me veux pas moralisateur. La responsabilité n’est pas une culpabilité de plus à ajouter sur les épaules des équipes Produit. C’est une opportunité : celle de remettre du sens dans ce que l’on fait. Et de bâtir des produits plus performants, des entreprises plus résilientes et économiquement viables. On parle beaucoup d’alignement Produit. Mais avec quoi sommes-nous alignés, exactement ? La croissance ? Le ROI ? Le NPS ? Et si on élargissait notre boussole ? Et si on intégrait la sobriété, l’utilité, la durabilité aux critères de succès ? 

Tout cela demande de la clarté, du courage, parfois de l’opiniâtreté. Mais ce n’est pas hors de portée. Arrêtons de considérer ces questions comme réservées aux organisations militantes ou aux Green Techs. Ces exigences concernent toutes les entreprises. Tous les produits. Tous les Product Managers. Et ce changement de posture, il est possible. Il est déjà en cours. J’en suis témoin tous les jours, à travers les formations, les discussions, les initiatives qui émergent. On est de plus en plus nombreux à penser que le produit peut — et doit — faire partie de la solution. 

N’attendez pas la permission ! 

On le sait : le numérique a un coût énergétique, matériel et humain. Face à cette complexité, la tentation de détourner le regard est grande. De se dire que ce n’est pas notre périmètre. Pas notre priorité. Pas le bon moment. Et on continue à concevoir des produits surchargés, à accumuler des données qu’on n’utilise pas. Sans parler de l’IA, qu’on met désormais absolument partout, sans se poser de questions. D’accord, c’est la norme, mais c’est une norme qu’on peut et qu’on doit interroger. Ce que je propose, ce n’est pas de tout arrêter, ni de dire non à tout. C’est de reprendre la main. D’assumer qu’un bon produit, ce n’est pas seulement un produit qui marche : c’est un produit qui fait sens à tout point de vue, y compris environnemental.

Ce que j’ai appris, en travaillant avec des PM sur ces sujets, c’est qu’on peut faire énormément… sans attendre qu’on nous y autorise. On peut poser des questions différentes. Reformuler une demande, apporter des alternatives. On peut ralentir là où tout le monde veut aller plus vite. Et parfois, ce petit pas de côté suffit à changer la trajectoire.. Parfois, c’est une simple note dans un document de cadrage, ou une autre manière de formuler une user story. Mais ces gestes-là, répétés, diffusés, intégrés… transforment les cultures. 

Alors, osez ! Vous êtes légitimes à changer les choses, à votre échelle. Faire votre part, c’est déjà faire bouger les lignes. Et il suffit d'être plusieurs. C’est dans cette optique qu’Antoine Cabot et moi avons commencé à échanger, courant avril 2023. Que six mois plus tard sortait la V1 de notre Playbook, structuré autour de 33 bonnes pratiques très concrètes. Et que naissait véritablement le collectif Climate Product Leaders lors de l’été 2024, quand nous a rejoint une vingtaine de bénévoles. C’est grâce à la variété de ces profils que nous avons pu créer cette seconde édition, plus aboutie. 

Parce qu’on ne porte pas ce sujet seul: il se construit en système. C’est aussi pour ça qu’on a écrit ce Climate Product Management Playbook : pour éveiller, outiller, encourager. Pour dire aux PM : vous avez déjà des super-pouvoirs. Il suffit de les activer différemment. Un système dans lequel les Designers interrogent les usages, les Devs challengent la dette technique, les PO osent dire non, et les managers valorisent la sobriété comme une forme de qualité Produit. C’est seulement comme ça que l’on avance. 

Le début d’une belle histoire ? 

On ne prétend pas avoir toutes les réponses. On ne vient pas dire “voilà LA vérité”. Ce qu’on dit, c’est plutôt : “voilà ce qu’on a compris, voilà ce qu’on a essayé, et voilà ce qu’on met sur la table pour en discuter. Et surtout, voilà ce qu’il est aujourd’hui possible de faire concrètement”. C’est une posture d’humilité, mais surtout une volonté de construire ensemble. Et c’est ça, la vraie force du Playbook : on n’est pas là pour donner des leçons, on est là pour faire avancer la réflexion. À plusieurs. 

Ce qu’on espère ? Que ça donne envie à d’autres de faire pareil. Que ça inspire des équipes, des collectifs, à documenter, à publier, à partager ce qu’ils apprennent, ce qu’ils testent, ce qui marche… ou pas. Et sincèrement, on sent que quelque chose est en train de se passer. Des entreprises nous contactent, des équipes Produit intègrent la démarche dans leurs rituels, des PMs nous disent qu’ils se sentent moins seuls. 

Et peut-être que, dans quelques années, on regardera cette époque comme celle où la culture Produit a mué. Où elle a élargi sa définition de la valeur. Où elle a cessé d’être aveugle à ce qu’elle fabriquait. En définitive, je ne suis pas un idéaliste. Je ne dis pas que le numérique sera neutre un jour, mais son impact peut être mesuré et réduit. Et ça commence avec nous, qui décidons de ce qu’on fabrique, de pourquoi on le fabrique, et de comment on le fabrique. On peut très bien continuer à innover, à croître, à livrer. Mais de grâce, faisons le avec un peu plus de discernement. Avec un sens des responsabilités, même, et un peu plus de courage. Et si cette lecture peut vous aider à en trouver une dose, alors j’aurai déjà rempli ma mission.

Vous voulez toutes les bonnes pratiques pour allier excellence Produit et impact environnemental face à l’urgence climatique ? Découvrez le Climate Product Management Playbook ici !

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