Et si la clé d’un produit réussi n’était pas seulement sa fonctionnalité, mais l’émotion qu’il suscite ? C’est la conviction que défend Nesrine Changuel dans Product Delight, son premier ouvrage, sorti le 23 septembre 2025. Passée par Google, Spotify ou Microsoft, cette experte Produit y propose des méthodes, exemples et témoignages pour transformer l’utile en inoubliable.
Tout le monde connaît le T-Rex de Google Chrome. La scène est quasi universelle : on ouvre son ordi pour faire une recherche internet. Au moment de lancer Chrome, coup dur ! Plus de réseau. Apparaît alors un petit dinosaure, qui en un coup de barre d’espace devient le personnage principal d’un jeu d’arcade où vous devez sauter pour esquiver les cactus et autres obstacles. Grâce à cette fonctionnalité, aussi divertissante qu’inattendue, les équipes de Chrome ont littéralement réussi à transformer une source potentielle de frustration en une partie de plaisir.
Dépasser les attentes, anticiper les besoins… Il s’agit du premier principe du Product Delight tel que le présente le Dr. Nesrine Changuel dans son livre, sortie le 23 septembre 2025 et nommé d’après ce concept.
Le fil rouge de l'œuvre ? L’idée que dans un marché toujours plus compétitif, le secret pour se démarquer repose sur la capacité d’un produit à créer un lien émotionnel avec ses utilisateurs. Mais puisqu’il est plus facile de l’affirmer d’un ton convaincu en réunion que de le mettre véritablement en place, l’autrice consacre 14 chapitres à donner des clés pour y parvenir - 14 chapitres que nous avons eu la chance de découvrir en avant-première. Alors, que cache vraiment ce manifeste du delight une fois la première page tournée ?
Qu’est-ce que le Delight ?
Avant toute chose, il s’agit de savoir ce dont on parle. Et en l’occurrence, un delight peut en cacher un autre. Dans son ouvrage, le Dr. Nesrine Changuel distingue trois formes de delight.
La première, dite low delight, correspond à la simple satisfaction fonctionnelle : l’utilisateur obtient ce qu’il attend, rien de plus. Utile, certes, mais sans véritable effet “waouh”.
À l’opposé, le surface delight joue sur la surprise et l’émotion instantanée : une animation ludique, un clin d’œil visuel, une touche d’humour qui arrache un sourire, mais dont l’impact s’estompe vite.
Le graal, selon l’autrice, reste le deep delight : une expérience qui marie efficacité et connexion émotionnelle. C’est ce mélange subtil - résoudre un problème tout en suscitant un attachement - qui transforme un service banal en produit inoubliable, et qui est tout l’objet du livre.
Un livre entre le témoignage personnel et l’étude universitaire
D’emblée, on sent que Nesrine Changuel a beaucoup mis de sa personne dans l’écriture de son livre. Le “je” qu’elle emploie n’est pas qu’un effet de style ; les touches d’humour mêlées aux anecdotes personnelles donnent à l'œuvre une ambiance chaleureuse, qui rend la lecture de ses 230 pages étonnamment fluide.
Pour autant, le passé académique du Dr. Changuel se ressent vite. Appuyé par des chiffres, des études et une méthodologie structurée, l’ouvrage prend des allures de travail quasi universitaire. Pour incarner son propos, elle mobilise une multitude de références, qu’il s’agisse de figures de la Tech comme Google ou d’acteurs plus inattendus, comme Dyson. Ces mises en perspective sont renforcées par les Expert Profiles qui concluent chaque chapitre : de Dan Olsen à John Saito, en passant par Raluca Bujoreanu ou Jonathan Rochelle, ces portraits viennent éclairer chacun un aspect du delight, de l’effet cumulatif des petites attentions aux “superhero moments”, en passant par l’équilibre entre esthétique et fonction.
Ancienne PM et C-Level passée par des entreprises comme Google, Spotify ou Microsoft, Nesrine Changuel s’adresse avec légitimité autant aux leaders Produit qu’aux praticiens de terrain. Elle adopte aussi le point de vue d’une utilisatrice, partageant ses propres expériences avec Uber ou Spotify, ce qui permet au lecteur de se reconnaître dans les situations décrites. Le résultat : un texte incarné, crédible, et immédiatement utile pour les Product People de tous niveaux… mais aussi pour l’utilisateur que nous sommes tous.
Surtout, l’ouvrage rappelle que le delight n’a rien d’abstrait : il se mesure. Non pas en essayant de “quantifier une émotion” de manière hasardeuse, mais en suivant ses effets tangibles. L’exemple de Skype est parlant : passer d’un score moyen de satisfaction à un indicateur opérationnel simple, le Poor Call Rate (part des appels mal notés), a donné un levier clair de pilotage. De la même façon, Google, Spotify ou GitHub intègrent des boucles de feedback quanti et quali pour suivre, en continu, la présence ou l’absence de delight.
Plus qu’un concept, une conviction
Product Delight ne se veut pas qu'une exploration théorique. Le livre défend une conviction forte : le delight n’est pas une option, mais une condition de survie dans un univers produit saturé. L’autrice balaie l’idée que l’émotion serait un “plus” facultatif, une cerise esthétique posée sur le gâteau fonctionnel. Au contraire, elle montre que, passé le stade du besoin utilitaire, seule la dimension émotionnelle permet de créer une vraie différenciation et d’ancrer un produit dans la durée. Le delight est donc un moteur de valeur pour l’utilisateur - qui adopte, s’attache, recommande, paie - et pour l’entreprise, qui y gagne adoption, rétention et réputation.
Les illustrations ne manquent pas : de Spotify Wrapped à la possibilité de partager son trajet Uber, en passant par l’arrière-plan flouté de Google Meet, la notion de delight apparaît comme un différenciateur fort pour les produits digitaux. Mais le livre ne se limite pas à la tech : les cas d’IKEA ou de Zappos montrent que le delight ne se résume pas à des fonctionnalités, mais relève d’un véritable état d’esprit orienté expérience. Ignorer cette dimension, c’est accepter de rester dans le bruit de fond d’un marché ultra-compétitif. C’est pourquoi l’autrice préfère parler de B2H (Business to Humans) : qu’il s’agisse de fintech, de retail, de B2B ou de hardware, tant qu’il y a un humain en bout de chaîne, le delight a sa place.
Enfin, le propos dépasse la seule sphère produit. Selon Changuel, le delight doit être porté par le leadership, inscrit dans la culture et la stratégie de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’un “side project” confié à une équipe isolée, mais d’un fil conducteur qui aligne design, ingénierie, marketing et vision business. Le livre évoque d’ailleurs des pratiques collectives comme les hack days/weeks de Spotify, d’où sont nées des fonctionnalités emblématiques comme Discover Weekly. Preuve que le delight peut aussi émerger d’une culture d’équipe.
Prêt à l'emploi
Dernier point, essentiel dans un contexte où une idée ne vaut que si elle se traduit dans la pratique : Product Delight est un livre pensé pour l’action. Chaque chapitre suit la même recette : un principe posé d’entrée, des développements nourris de cas concrets, puis un résumé et une série d’action items. Résultat, on peut le lire d’une traite ou le garder sous la main pour y revenir quand on en a besoin.
Côté outils, on retrouve des classiques comme le Double Diamond ou les hackathons, mais aussi des cadres plus originaux, parfois créés par Nesrine Changuel elle-même. La Delight Grid, par exemple, aide à classer une fonctionnalité selon qu’elle suscite un low, surface ou deep delight ; la Delight Excellence Checklist, elle, propose neuf questions simples pour valider une idée avant de la mettre en production. À chaque fois, l’autrice en explique l’usage, les bénéfices et aussi les limites, permettant au lecteur de bâtir une véritable boîte à outils.
Le livre reste ancré dans le concret avec des cas variés : le service de reprise à domicile d’IKEA, les évolutions de Jira chez Atlassian, ou encore des pratiques collectives comme les hack days/weeks. Ces exemples montrent que le delight ne se cantonne pas aux applications grand public, mais concerne aussi le B2B, le retail ou le hardware.
Fidèle à son sujet, l’ouvrage se termine sur un petit delight bonus : des interviews exclusives, des templates et des worksheets prêts à l’emploi. En somme, un guide pratique et riche en ressources, qui donne aux équipes Produit de quoi expérimenter dès le lendemain.
Quid de l'IA ?
Si Product Delight balaie large, on reste néanmoins un peu sur sa faim sur un sujet clé de l’actualité Tech et Produit : l’intelligence artificielle. L’IA est bien évoquée, par exemple dans les fonctionnalités intelligentes de Jira ou dans l’évolution du background blur de Google Meet vers des environnements générés automatiquement, et un Expert Profile revient sur son usage pour mesurer la satisfaction utilisateur.
Mais l’ouvrage ne va pas beaucoup plus loin, alors même que l’IA ouvre aujourd’hui la voie à une personnalisation extrême, capable de créer des expériences uniques pour chaque utilisateur. Et donc, potentiellement, un delight démultiplié. Le livre reste centré sur les fondamentaux et les méthodes immédiatement mobilisables, mais on sent qu’il aurait aussi matière à creuser le rôle de l’IA dans la création de delight, tant ses promesses en matière de personnalisation sont grandes.
Interrogée, Nesrine Changuel explique ce choix. Pour elle, “les produits répondent à la fois à des motifs fonctionnels et émotionnels. L’IA accélère fortement la dimension fonctionnelle : des fonctionnalités peuvent être développées en quelques heures. Le risque, si l’on s’en tient au seul “faire”, est de basculer vers un monde purement fonctionnel. Notre rôle, en tant que créateurs de produit, est d’en être conscients : identifier les besoins émotionnels des utilisateurs et les intégrer dès la conception afin de préserver la valeur humaine et différenciante du produit.”
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