L’IA n’est plus un sujet de veille ou d’expérimentation. Elle s’impose aujourd’hui comme un levier structurant pour la performance et la stratégie. Hugo Klein, spécialiste de l’IA au sein des organisations, s’adresse à celles et ceux qui portent cette transformation : dirigeant·es, responsables stratégiques, managers du changement. Dans cet article, il présente A.U.G.M.E.NT, une méthode en 6 étapes pour construire une trajectoire IA cohérente, créatrice de valeur, et alignée sur les priorités de leur entreprise.
Depuis l’émergence fulgurante de l’intelligence artificielle générative, les lignes bougent. L’arrivée de l’IA générative a ouvert pour les directions générales un champ inédit de complexité… mais aussi de potentiel. L’IA n’est plus une technologie de fond de la DSI. Elle devient omniprésente et s’invite désormais à tous les étages de l’entreprise : dans les comités de direction, les plans de transformation, les réflexions budgétaires, et jusque dans les choix organisationnels.
Ce n’est pas un gadget, mais un facteur de transformation profonde, qui impose un nouveau rapport au travail, à la responsabilité et à la performance. En somme, c’est un véritable changement de paradigme. Le moment est venu pour les dirigeants de dépasser l’expérimentation et de structurer une véritable stratégie IA, capable de créer de la valeur, à grande échelle et dans la durée.
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Les convictions qui fondent une stratégie IA solide
Avant de se lancer dans la transformation, encore faut-il savoir où on va. Tout commence par des convictions claires, à partager largement pour embarquer tout le monde — des équipes terrain jusqu’au top management. En voici quatre, qui peuvent servir de point de départ.
- L’IA n’est pas une fin en soi. Elle n’a de sens que si elle s’inscrit comme un enabler de la stratégie d’entreprise, au service d’objectifs business concrets. Ce qui compte, ce n’est pas de “faire de l'IA” ! C’est de mobiliser son potentiel pour atteindre plus vite et plus efficacement les ambitions de l’organisation.
- L’IA transforme les rôles, mais ne remplace pas l’humain. Ce ne sont pas les personnes qui sont remplacées, mais certaines compétences, métiers et processus qui évoluent… Voire disparaissent. Pour autant, cette évolution ne signe pas la fin de l’humain dans l’organisation. Elle appelle à un repositionnement, une montée en compétences, une capacité à apprendre et à se réinventer pour répondre aux nouveaux besoins qui émergeront. L’histoire du travail le prouve : selon une étude du MIT, 60 % des métiers exercés aujourd’hui n’existaient pas en 1940 ! Dans cette dynamique, l’IA peut devenir un véritable levier d’émancipation professionnelle. En automatisant les tâches répétitives, chronophages ou à faible valeur ajoutée, elle libère du temps pour se concentrer sur des activités plus stratégiques : la créativité, la relation humaine et les dynamiques d'équipe, le pilotage, la prise de décision… autant de dimensions où l’humain reste irremplaçable.
- La valeur émerge de l’hybridation du top-down et du bottom-up. Les relais opérationnels sont souvent les premiers à identifier, expérimenter, tester, les opportunités concrètes. Mais sans vision IA claire, sans leadership pour fixer le cap et structurer la dynamique, ces initiatives peinent à dépasser le stade du pilote isolé. Finalement, on bricole dans son coin. L’impact ne décolle pas, l’apprentissage stagne, et la valeur ne passe jamais à l’échelle. Seule une articulation forte entre le cap stratégique et les usages concrets permet de transformer les expérimentations en leviers de valeur durables.
- L’IA doit être traitée comme une capability d’entreprise, pas Tech. Elle doit être intégrée dans la structure et le fonctionnement de l’entreprise au même titre que la finance, les ressources humaines, le marketing, la supply chain… Cela implique de la gouverner, de l’organiser et de l'inscrire dans le temps. Loin d’un effet de mode ou d’une série d’initiatives ponctuelles, elle devient alors une compétence structurante, évolutive, et interdisciplinaire.
Intégrer stratégiquement l'IA dans votre entreprise : une méthode en 6 étapes pour créer de la valeur
Alors que de nombreuses entreprises affichent une volonté claire d’explorer les opportunités offertes par l’intelligence artificielle, le véritable défi ne réside plus dans l’ambition, mais dans la capacité à engager l’organisation dans une dynamique concrète de transformation. Trop souvent, les initiatives s’essoufflent entre des pilotes isolés, une gouvernance floue et un manque de coordination entre les métiers et les équipes techniques.
C’est précisément pour surmonter ces obstacles que le modèle A.U.G.M.E.NT propose un cadre structurant en six dimensions. Il permet de faire émerger puis d’ancrer une stratégie IA robuste, alignée, et portée à l’échelle. Sa particularité : tenir compte des spécificités propres à l’IA (incertitude technologique, logique exploratoire, enjeux éthiques structurants...).
Ces six leviers ne doivent toutefois pas être envisagés comme une séquence linéaire. Ils peuvent être activés en parallèle, en fonction de la maturité de l’organisation, des priorités identifiées et des dynamiques déjà engagées. L’enjeu est moins de suivre une feuille de route figée que de créer un mouvement cohérent, progressif et piloté.
Acculturation : sensibiliser pour engager la transformation
Toute démarche IA réellement transformatrice commence par une prise de conscience collective. Avant de parler de cas d’usage ou de déploiement technologique, les organisations doivent s’assurer que leurs collaborateurs comprennent les enjeux, les impacts et le potentiel réel de l’intelligence artificielle. Il est essentiel de construire une compréhension partagée de ce qu’est (et n’est pas) l’IA.
Car avant de faire de l’IA un levier à l’échelle, il faut que tout le monde parle le même langage. Dirigeants, managers, équipes terrain : chacun doit comprendre ce que l’IA permet, et ce qu’elle change - dans les métiers, les décisions, les responsabilités. Ça passe par une vraie phase d’acculturation, mais aussi par des formations ciblées : culture générale pour tous, formation aux outils collaboratifs intégrant de l’IA (type Copilot, Gemini…), montée en compétences pour les profils data... Ce socle de connaissances partagées est indispensable pour éviter les blocages, favoriser l’adhésion et préparer l’organisation à identifier des usages pertinents.
Use-case : lier l'IA à des problématiques métiers concrètes
Une fois cette culture commune établie, la valeur de l’IA doit être incarnée dans des cas d’usage tangibles. Il ne s’agit pas encore de viser l’industrialisation, mais de croiser les irritants métiers avec les opportunités d’optimisation, dans une logique de test and learn structurée.
Quels irritants métier peuvent être résolus ? Quelles données sont nécessaires ? Sont-elles disponibles ? Quels impacts sont souhaités à court et moyen terme ? Comment les mesurer ? Ce sont les métiers qui sont les plus à même d’identifier les besoins réels et de repérer les opportunités d’optimisation. En tant qu’experts de leur domaine, ils doivent être placés au centre du processus d’identification, de cadrage, de création et de pilotage des premiers cas d’usage. Cette implication est aussi la clé de l’adhésion.
Dans ce contexte, les agents IA - ces assistants autonomes capables de réaliser des tâches complexes, de prendre des décisions simples et d’interagir avec les outils métiers - émergent aujourd’hui comme les cas d’usage les plus visibles et prometteurs. Leur force ? Libérer du temps, booster l’efficience, tout en redéfinissant les contours de nombreux rôles humains. Les tester sur le terrain, c’est mesurer leur impact réel, mais aussi prendre la température du changement à venir : culture, organisation, management… Les agents IA ne se contentent pas d’exécuter, ils redistribuent les cartes.
Gouvernance : instaurer une gouvernance cohérente et pilotée
Pour transformer l’expérimentation en stratégie durable, un socle de gouvernance robuste est indispensable. Il permet de sécuriser, aligner et orchestrer les projets IA, tout en garantissant leur conformité, leur traçabilité et leur cohérence avec les objectifs globaux.
Cette gouvernance peut être structurée autour de deux piliers. D’abord, un dispositif de portfolio management, pour recenser, prioriser et piloter les projets dans la durée. Le portfolio manager facilite la coordination, soutient les porteurs et structure les apprentissages pour nourrir les projets à venir et renforcer l’amélioration continue. Ensuite, deux instances de gouvernance complémentaires; le comité IA et le comité de gouvernance IA :
- Le comité IA, impulsé par le Comex, incarne la vision stratégique de l’IA. Il fixe les grandes orientations, priorise les cas d’usage stratégiques, alloue les ressources critiques, et supervise l’orchestration des initiatives stratégiques IA dans l’ensemble de l’organisation. Ce comité est également garant de la cohérence globale : il valide les grandes lignes de la gouvernance, assure l’alignement avec les objectifs de l’entreprise, et pilote les arbitrages sur les budgets, la cybersécurité, les talents ou encore les choix technologiques.
En l’absence d’une telle instance, les risques sont multiples : éparpillement des projets, redondance des efforts, déconnexion des priorités stratégiques, ou encore déploiement de solutions non auditées.
- Le comité de gouvernance IA, lui, veille à ce que les règles soient vraiment appliquées. Il définit des politiques claires sur l’éthique, la sécurité, la gestion des données personnelles (RGPD), ou encore la transparence. C’est aussi lui qui pilote tout le cycle de vie des modèles, de la validation au monitoring, en passant par la documentation et la traçabilité. Bref, c’est la tour de contrôle. Et elle est indispensable. Sans ce comité, l’entreprise prend des risques - juridiques, réputationnels, opérationnels. Elle s’expose à des dérapages sur les données sensibles… ou à voir émerger un shadow IT incontrôlable.
Ensemble, ces deux comités instaurent une gouvernance robuste, transverse et cohérente, condition indispensable pour une IA de confiance, scalable et durable.
Mission & stratégie IA : tracer un cap pour une IA alignée sur les priorités de l'entreprise
La gouvernance prépare le terrain, mais c’est bien la stratégie qui donne le cap. Trop souvent, les organisations commencent par se demander : "Comment utiliser l’IA ?" alors que la véritable question devrait être : "À quels problèmes stratégiques devons-nous répondre ?" Si l’on ne comprend pas finement ses défis métiers, les tensions du marché ou les attentes de ses clients, toute initiative IA risque d’être mal orientée, voire déconnectée du réel. Autrement dit, si l’on n’a pas clarifié son problème, il est prématuré de chercher une solution technologique.
Dans un environnement où six mois peuvent suffire à bouleverser un secteur ou rendre une technologie obsolète, il est illusoire de croire qu’une stratégie IA puisse rester figée. Elle doit rester évolutive, capable de s’ajuster au fil des expérimentations, des retours d’expérience, et de la maturité croissante des équipes. Elle s’inscrit dans une trajectoire vivante, faite d’itérations, d’apprentissages continus et de capitalisation progressive sur les succès initiaux.
Cette ambition appelle un engagement fort de la part de la direction générale : celle-ci doit fixer le cap, porter la vision et la traduire concrètement dans les feuilles de route des différentes fonctions. Car c’est à ce niveau que l’IA cesse d’être une initiative ponctuelle pour devenir une dynamique collective, alignée, et durablement créatrice de valeur.
Intégrer l’IA, c’est aussi transformer les pratiques, les rôles et les cultures de travail.
Enabling capabilities : mobiliser les leviers stratégiques
Une stratégie, aussi pertinente soit-elle, ne peut se déployer sans les bonnes fondations techniques, humaines et organisationnelles.
On peut distinguer quatre leviers principaux :
- Les données : la matière première de toute IA. Il s’agit de garantir leur qualité, leur accessibilité, leur gouvernance (droits, cycles de vie, standards), ainsi qu’une architecture permettant leur centralisation et leur interopérabilité.
- Les compétences : développer une filière IA avec des profils complémentaires (data scientists, MLOps, Product Managers IA, experts métiers formés à la data) et des dispositifs de formation continue pour généraliser la formation/prise en main. En plus de ce département, ne pas hésiter à mettre un “AI champion” dans chaque périmètre, pour généraliser les bons réflexes.
- L’infrastructure technologique : disposer d’un environnement stable et modulaire pour le développement, le test, le déploiement et le monitoring des modèles. Cela inclut souvent une plateforme cloud, des outils de versioning et de supervision.
- Les processus et méthodes : Les processus et méthodes : mettre en place une manière de travailler adaptée aux spécificités de l’IA. Cela passe par une approche agile, avec des cycles courts d’expérimentation (test and learn), une validation progressive de la valeur business, et un pilotage continu des performances. Il est également essentiel d’instaurer des rituels partagés et de centraliser la documentation pour assurer la transparence, la traçabilité et la collaboration entre équipes.
Next Transformation : scaler, ou organiser le passage à l'échelle
L’industrialisation marque la bascule vers l’impact global. Il s’agit désormais de dupliquer ce qui fonctionne, de structurer la diffusion des modèles, et de pérenniser les pratiques gagnantes à l’échelle de l’organisation. C’est ici que la promesse de l’IA se concrétise vraiment.
Cette phase consiste à déployer progressivement les solutions IA à d’autres entités, processus ou cas d’usage dérivés. Il s’agit de structurer cette montée en charge par un plan de déploiement, en s’appuyant sur des modèles réplicables et une logique de mutualisation.
Mais pour qu’un passage à l’échelle soit réellement efficace, il ne peut se faire sans un accompagnement au changement robuste : formation des équipes, adaptation des processus, clarification des rôles et gestion des éventuelles résistances sont autant de leviers indispensables.
C’est également le moment de capitaliser sur les succès initiaux pour renforcer l’engagement des équipes et démontrer la valeur ajoutée de l’IA à l’échelle de l’organisation. Le passage à l’échelle est la véritable mesure de la maturité IA.
Le facteur décisif : un leadership aligné, engagé et proche du terrain
L’IA impose de nouveaux arbitrages au sein de l’organisation : entre métiers et technologie, initiatives locales et cohérence globale, agilité d’expérimentation et rigueur de gouvernance. Elle oblige aussi à faire grandir l’entreprise dans sa culture data, sa capacité d’apprentissage, et son exigence en matière d’éthique. Ces tensions, spécifiques à l’IA, nécessitent un pilotage stratégique fort, une coordination transverse… mais aussi un leadership lucide et engagé. Car l’IA n’est ni bonne ni mauvaise par essence : tout dépend de l’ambition, du cadre et de l’éthique que les dirigeants lui donnent. Selon une étude de Kyndryl, 45 % des PDG constatent encore une résistance active à l’adoption de l’IA dans leurs équipes. Ce chiffre interpelle : il rappelle que l’humain reste la clé de toute réussite technologique. Intégrer l’IA, c’est aussi transformer les pratiques, les rôles et les cultures de travail.
Dans ce contexte, les dirigeants ont un rôle central à jouer : fixer un cap, incarner une vision, arbitrer les priorités, créer l’impulsion et montrer l’exemple. Il ne s’agit plus seulement d’autoriser ou de suivre, mais de mobiliser l’ensemble de l’organisation autour d’une ambition claire, durable et responsable. Leurs responsabilités ne s’arrêtent pas là : il leur faut comprendre les inquiétudes, et accompagner activement la transformation des rôles en misant sur la formation, l’expérimentation et la mise en confiance. C’est à cette condition que l’IA pourra s’inscrire dans une dynamique d’adhésion, d’appropriation et de performance collective.
En choisissant d’être les architectes de cette transition, plutôt que de simples spectateurs, les leaders feront de l’IA bien plus qu’une innovation ponctuelle. Ils en feront une capability stratégique, structurante, au service de la performance durable et de la compétitivité future de leur entreprise.