Être PM en Europe ou aux États-Unis, ce n’est presque pas le même métier ! Entre rigueur européenne et audace américaine, deux visions semblent s'opposer... Mais est-ce vraiment le cas ? Dans cet article, Cassandra Videira et Martin Haver, explorent comment hiérarchie, prise de décision et gestion du risque façonnent le rôle de PM des deux côtés de l’Atlantique.
Le rôle de Product Manager ne se limite pas à des méthodologies et des outils universels. Il est profondément influencé par la culture d’entreprise et le pays dans lequel il est exercé. Pour explorer ces différences, nous avons échangé avec Vanessa Barrero, une PM espagnole ayant travaillé dans des entreprises internationales comme Yahoo, et Kai Hansen, un PM européen ayant exercé aux États-Unis chez Google. Leurs témoignages révèlent des contrastes marqués entre les approches américaines et européennes du Product Management, que ce soit en matière de hiérarchie, de prise de décision ou de tolérance au risque.
Un rôle façonné par la culture locale
Vanessa Barrero a commencé sa carrière en tant que Junior Product Manager chez Yahoo Espagne, où elle a travaillé sur divers produits du groupe. Travailler au sein d’une entreprise américaine, bien que basée en Espagne, lui a permis d’observer les différences entre la culture du travail espagnole et celle des grandes entreprises internationales.
Aux États-Unis, elle a constaté une organisation plus horizontale et collaborative, où la prise d’initiative est encouragée et où les PM ont un réel pouvoir de décision. À l’inverse, en Espagne, le travail est plus encadré par une hiérarchie stricte, ce qui peut restreindre l’autonomie des Product Managers.
De son côté, Kai Hansen, qui a travaillé aux États-Unis pour Google, met en avant une différence clé : la prise de risque. Dans les entreprises américaines, l’échec est perçu comme une étape d’apprentissage et non comme un frein. Les PM sont encouragés à tester rapidement de nouvelles idées, quitte à itérer ensuite.
En Europe, en revanche, la gestion des risques est une priorité. Les entreprises sont plus prudentes et préfèrent sécuriser chaque aspect d’un projet avant de le lancer. Pour Kai Hansen, cette approche découle d’une tradition d’ingénierie et d’une forte réglementation historique qui poussent les entreprises à privilégier une approche plus structurée et méthodique.
Pour aller plus loin sur la dimension européenne, on vous recommande cette lecture : "Il faut commencer à raisonner en Européens", une prise de position tranchée sur la stratégie Tech européenne.
Les défis d'un PM dans un contexte international
Les expériences de Vanessa Barrero et Kai Hansen montrent que travailler à l’international implique plusieurs défis, notamment :
- L’adaptation aux différences culturelles : Comprendre les attentes et les modes de fonctionnement propres à chaque pays est essentiel pour collaborer efficacement.
- La barrière linguistique : Vanessa Barrero souligne que le fait de travailler dans une langue étrangère peut impacter la confiance en soi et la participation aux décisions stratégiques.
- Le périmètre du rôle : Le rôle d’un Product Manager peut varier considérablement d'un pays à l'autre, influençant non seulement l'étendue de ses responsabilités, mais aussi son impact sur les décisions stratégiques de l'entreprise. Dans certains contextes, notamment dans les environnements où la hiérarchie est plus marquée, le PM se retrouve cantonné à un rôle d'exécutant, appliquant simplement les directives sans réelle marge de manœuvre. À l'inverse, dans des cultures plus horizontales et collaboratives, il devient un acteur clé dans la définition de la vision produit et la prise de décisions stratégiques. Cette différence structurelle transforme profondément la manière dont le métier est perçu et exercé, affectant la motivation, l'innovation et même la satisfaction professionnelle. Ainsi, passer d'un rôle décisionnel à un poste purement opérationnel peut entraîner une réelle frustration pour les PM habitués à avoir un poids significatif dans les orientations produits.
Vers un juste équilibre entre prise de risques et rigueur
Si Kai Hansen estime que l’excès de prudence peut freiner l’innovation, il reconnaît aussi que la culture du risque aux États-Unis peut parfois conduire à des décisions précipitées. "Les entreprises américaines ont une mentalité très orientée vers l’action : elles se demandent d’abord ce qui pourrait fonctionner, puis avancent rapidement en testant sur le terrain", explique Kai Hansen. À l’inverse, en Europe, l’analyse des risques prend souvent le pas sur l’enthousiasme initial. "J’entends beaucoup plus souvent des réactions comme ‘ça ne marchera pas’, ‘on a déjà essayé’, ou encore ‘il y a trop d’obstacles légaux’ avant même d’avoir étudié le potentiel de l’idée", ajoute-t-il.
Cette différence de mindset se reflète également dans la gestion des projets et la prise de décision. Un Product Manager aux États-Unis va souvent privilégier l’expérimentation rapide : "Si huit utilisateurs sur dix aiment une idée, on crée un prototype sans attendre de boucler une analyse exhaustive." En Europe, le même projet passerait par une phase de définition bien plus rigoureuse, incluant des validations multiples et des préoccupations autour des cas limites. "À force de vouloir tout cadrer en amont, on arrive parfois à une forme de paralysie où le projet n’avance pas", observe Kai Hansen.
L’idée de combiner l’audace américaine et la rigueur européenne ne relève pas seulement d’un compromis idéaliste. C’est une approche pragmatique qui peut significativement améliorer l'efficacité et la pertinence des produits. Dans un contexte où les marchés évoluent rapidement et où les attentes des utilisateurs deviennent de plus en plus sophistiquées, s’appuyer sur ces deux dynamiques permet de répondre à la fois au besoin d’innovation rapide et à l'exigence de fiabilité.
1. Oser tester sans tout risquer
L'audace américaine repose sur une mentalité qui valorise l'expérimentation. "Aux États-Unis, il est courant de tester rapidement une idée avec un prototype minimal, même si tous les paramètres ne sont pas encore définis", explique Kai Hansen. Cette approche permet de recueillir des retours concrets avant d'engager des ressources considérables. Par exemple, certaines startups américaines lancent volontairement des fonctionnalités incomplètes pour évaluer la réception des utilisateurs.
Cependant, l'audace doit être tempérée pour éviter les excès. "Lorsque l’on se précipite sans cadre, les équipes peuvent se retrouver à jongler avec plusieurs projets sans réelle priorité", avertit Kai Hansen. L’équilibre consiste donc à tester sans s’éparpiller. Les entreprises européennes, plus rigoureuses dans leur planification, peuvent ici apporter une structuration qui limite ce risque de dispersion.
2. Structurer sans brider l'innovation
De l'autre côté de l'Atlantique, l'approche européenne excelle dans la gestion des processus. Les PM européens prennent le temps d'analyser en profondeur les impacts d'une décision, d'anticiper les cas limites et de s'assurer que chaque étape soit validée. "C'est une force indéniable quand il s'agit de projets à long terme où la fiabilité prime", souligne Kai Hansen. Cette rigueur permet d’éviter les erreurs coûteuses, notamment dans des secteurs réglementés comme la finance ou la santé.
Mais trop de structure peut également freiner l'innovation. "J'ai vu des projets mourir dans l'œuf parce que l'on voulait tout sécuriser avant même de tester l'idée", confie Kai Hansen. Intégrer une touche d'audace américaine — oser lancer une version bêta ou tester un concept avec un panel restreint — peut permettre aux PM européens d'accélérer l'itération et d'apprendre plus vite.
3. Savoir quand prendre des risques et quand les minimiser
Le véritable défi pour un Product Manager est de savoir à quel moment privilégier l'expérimentation rapide et quand adopter une approche plus méthodique. Tout dépend du contexte et de la maturité du produit.
- Dans les phases initiales, l'audace est essentielle pour explorer le marché et identifier les besoins réels des utilisateurs. "Spotify a pris le risque de rester gratuit pendant longtemps, ce qui lui a permis d'acquérir une base d’utilisateurs massive", rappelle Kai Hansen.
Dans les phases de consolidation, la rigueur devient indispensable pour garantir la qualité et la fiabilité. "Google, malgré son esprit d'innovation, n'a pas hésité à investir dans des processus robustes une fois ses produits établis", ajoute-t-il.
L'art de mélanger les deux cultures
Certaines entreprises ont réussi à combiner ces deux approches. Kai Hansen cite notamment l’exemple de Booking.com, qui a investi massivement dans la publicité pour croître rapidement tout en développant simultanément une plateforme hautement optimisée grâce à l'A/B testing. "Ils n'ont pas eu peur de miser gros, mais chaque décision était étayée par des données concrètes", explique-t-il.
Ce modèle prouve qu’il est possible d'être à la fois audacieux et méthodique - deux qualités souvent perçues comme opposées. Au fond, il ne s’agit pas d’une question géographique : Vanessa Barrero a rejoint MUSE, une entreprise tchèque, elle a retrouvé un environnement plus proche de la culture américaine, avec davantage de liberté, une approche plus expérimentale et une implication stratégique pour les PM.
En fin de compte, le succès en Product Management ne réside pas dans l'adoption exclusive d'une approche culturelle. Il repose sur la capacité à ajuster son style en fonction du contexte. En combinant l’esprit d'initiative américain avec la discipline européenne, les PM peuvent non seulement innover rapidement, mais aussi construire des produits durables et adaptés aux attentes des utilisateurs.
C’est d’ailleurs ce que nous nous efforçons à mettre en œuvre chez Thiga : mêler la rigueur européenne et l’esprit d’initiatives américain. Allier responsabilité et ambition. Et ainsi, aider les entreprises d’Europe à devenir des vrais champions internationaux.