Conversation avec Rémi Bardoux, CPO @ Chauffeur Privé

  • mise à jour : 29 octobre 2018
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Chauffeur Privé caracole en tête du classement Les Echos des Champions de la Croissance 2018.... +8.000% de croissance en trois ans ! Alors, on s’est dit que pour ouvrir notre série de portraits Humans of Product, ça n’était peut-être pas une mauvaise idée de discuter avec celui qui tire les ficelles du produit de Chauffeur Privé, depuis trois ans, justement. Le temps d’un café, on vous présente Rémi Bardoux, leur Chief Product Officer.

Hello Rémi, je ne vais pas te demander de décrire Chauffeur Privé. Avec 2 millions de clients et 18.000 chauffeurs, vous êtes connus comme le loup blanc. Mais toi, en tant que CPO, comment décrirais-tu ton Produit, son “caractère” ?

Rémi : Chauffeur Privé, c’est un produit impertinent, et pourtant presque trop évident. Impertinent car on essaie d’y mettre une part de nous-mêmes, de notre culture très française avec ce goût de la provocation qui nous caractérise. On s’amuse beaucoup avec un chauvinisme revendiqué. Quand on livre une feature, on essaie toujours de faire un clin d’oeil ou un tacle au concurrent. Regardez attentivement ci-dessous par exemple. 😉

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C’est aussi un produit évident car en termes d’UX et UI, on veut faire quelque chose de simple, sans aucun superflu. On guide l’utilisateur et on lui mâche le travail  (peut-être un peu trop !).

Le Product Management est encore très jeune en France. Dans un article, Hugo Geissmann expliquait qu’il y avait 500 Product Managers sur Linkedin en France quand il a lancé Thiga. Toi, ça fait huit ans que tu fais du Produit : comment es-tu tombé dedans ?

Par hasard, comme beaucoup ! La première fois que j’ai fait du produit, c’était dans mon école d’ingés. Je faisais partie d’une association qui organisait le gala de l’école. 75 bénévoles à coordonner, 3000 étudiants invités. J’ai fait les plannings heure par heure, postes par postes, c’était complexe et j’ai adoré. C’est dans mon caractère : je suis le type de mec qui va faire une check-list d’affaires à emporter dans sa valise (ça, je ne suis pas seul !), et qui pousse le vice jusqu’à avoir une deuxième check-list à son retour pour vérifier qu’il a bien tout rapporté.

Pendant mes études, je me suis tourné vers l’AMOA traditionnelle et puis, de fil de stage en aiguille, je suis devenu product owner chez Price Minister. Là, ça a été un déclic : c’était du pur digital, du e-commerce, pourquoi choisir telle ou telle fonctionnalité, jusqu’à la couleur du bouton du check-out, comment les mettre en oeuvre, comment les A/B tester.

Par chance, ma première responsable de stage m’a appelé : elle cherchait un Product Manager pour Beezik, un site de téléchargement gratuit et légal de musique. Je finis l'école, j’accepte, ils étaient 15, on était 400 quand je suis parti. On avait 1,8 Millions de visiteurs uniques par mois, 500.000 downloads sur iOS, pareil sur Android.

J’ai voulu alors lancer ma propre entreprise. J’ai travaillé dessus pendant deux ans avant de rejoindre Chauffeur Privé.

Au quotidien, tu fais quoi ?

Je dirige l’équipe Produit. Chez nous, elle a trois dimensions. D’abord, le Product Management en tant que tel : on décide ce qu’on fait, pourquoi, pour qui, quand est-ce qu’on fait les choses et comment on les fait. Ensuite, le Product Design et enfin, le support technique.

Avoir le support technique dans l’équipe Produit, c’est un vrai choix, une volonté forte de ma part. C’est la première chose que j’ai mise en place chez Chauffeur Privé car il est stratégique de savoir avec quel bug tu décides de vivre. On sait que, de toutes façons, il y aura des bugs. Le 0 bug n’existe pas. Donc il faut évaluer quel est le coût de chaque bug. Pour nous, la métrique fondamentale, c’est le pourcentage de courses impactées. En gros, tu as trois types de bugs : le bug esthétique où l’utilisateur peut quand même faire ce qu’il veut, le bug fonctionnel où l’utilisateur s’attend à faire quelque chose et ça ne marche pas normalement, et le bug bloquant où l’utilisateur ne peut pas avoir sa course. Pour moi, la réponse face à ces bugs relève pleinement d’un choix Produit.

Et nous allons bientôt renforcer l’équipe avec des Product Analysts qui vont augmenter notre expertise sur la data.

Comment as-tu organisé ton équipe ?

Je suis parti du principe qu’on peut manager un nombre limité de personnes, nombre au-delà duquel on perd en efficacité, en temps,  et surtout en qualité de management car tu n'as pas assez de temps pour aider les gens que tu encadres. Il n’y a pas de nombre parfait, ça dépend des équipes, des contextes d’entreprise et surtout du manager. Pour moi, ce nombre, c’est 5. Donc, j’essaye de ne jamais dépasser 5.  

Aujourd’hui, j’encadre trois Lead Product Managers : un qui s’occupe des utilisateurs B2B, une des utilisateurs B2C et un de ce qu’on appelle la Supply, les chauffeurs. Chaque Lead Product Manager s’occupe d’une tribe avec différentes squads. Dans chaque squad, il y a un Product Manager et plusieurs développeurs, trois en moyenne.

Auparavant, chaque PM avait un scope fonctionnel. Maintenant, chaque PM est responsable d’un ensemble d’objectifs et de KPIs. L’un va travailler sur l'acquisition, l’autre sur la rétention, le troisième sur l’onboarding des chauffeurs, etc.

En plus des trois Lead Product Managers, j’ai en direct la personne qui pilote le design et celle qui pilote le support.

Quels sont les principaux challenges que tu as dû relever ?

Les challenges dépendent complètement de la maturité de l’entreprise. Au début, la difficulté principale, c’est de faire en sorte que les fondateurs arrêtent d’aller voir les devs en direct dès qu’ils veulent quelque chose. On ne va pas se mentir : tous les fondateurs le font !

Ensuite, c’est de constituer la roadmap et de la délivrer qui est l’enjeu principal. Et avec la croissance, c’est l’organisation qui prend le pas : comment tu mets en place les tribes, les squads.

Un fail qui t’a permis d’apprendre ?

Oui, et ça m’a beaucoup marqué. C’était quand j’étais PM chez Beezik : je release une app avec un énorme bug. L’utilisateur ne pouvait plus rien faire. Et là, je veux comprendre ce qu’il s’est passé, pourquoi le bug est apparu, comment c’est possible. Et je passe beaucoup de temps à creuser, écrire, me justifier, quand un des patrons m’arrête et me dit : “Stop, ça ne sert à rien. Concentre-toi sur la résolution, on verra après pour la compréhension.” Pour moi, ça a été un vrai enseignement : accabler la personne quand il y a un problème, c’est inutile. Ton job de manager, c’est d’aider la personne, donc de la mettre en confiance. Comme un tennisman qui est au milieu d’un match et qui est en train de le perdre. Si tu veux qu’il renverse le score, tu le reboostes. Ensuite, une fois que le problème est résolu, alors, tu prends du recul et tu cherches à comprendre l’origine du bug.

Affiche Chauffeur Privé Tellement Français Métro 2018

Qui sont tes mentors ou tes role models en Produit ?

Je n'en ai pas en tête sur le Produit pur. J’ai énormément appris des fondateurs des boîtes dans lesquelles je suis passé. Ils ne m’ont pas apporté sur le Product Management en lui-même mais sur la méthode, la rigueur, l’organisation. Arriver à penser à tout, à tout lister de façon exhaustive, c’est difficile et ça s’apprend.

Chez Chauffeur Privé, j’ai créé des templates pour beaucoup de choses. On a beaucoup itéré sur les process et on a mis en place des templates. A chaque début de sprint par exemple, il y a un sprint kick-off avec ce qu’on a fait dans le sprint précédent, les objectifs du prochain sprint, les événements exceptionnels (congés etc) qui peuvent l’affecter. On utilise toujours le même template d’abord pour être sûr de ne rien oublier mais aussi parce que, maintenant que tout le monde le connaît, on gagne un temps fou. Avoir des routines, ça rend efficace, mais ça tue la créativité et la prise d’initiative, donc il faut faire attention à ne pas le faire partout !

Quelles sont les qualités que tu recherches chez les Product Managers que tu recrutes ?

Je veux des personnes humbles et passionnées, pas par le Produit en tant que discipline mais par Chauffeur Privé, par les problématiques de mobilité, de transport de personnes. Moi, quand Uber est arrivé face aux taxis, ça m’a tout de suite interpellé. J’ai trouvé qu’ils corrigeaient un problème énorme. Je me suis énormément renseigné sur leur business model, leurs pratiques.

En une demi-heure de discussion, tu arrives à faire la différence entre un premier candidat qui a vu ton site sur son téléphone juste avant d’arriver, un deuxième qui a pris le temps de bien se renseigner sur l’entreprise et le troisième qui est vraiment passionné par la mobilité urbaine. Je pense que tu ne peux pas être un bon Product Manager si tu ne vibres pas pour ton Produit.

Quels sont les défauts que tu recherches quand tu recrutes ?

Haha, drôle de question ! Et bien ce qui pourrait être un “défaut” pour certaines entreprises, c’est de ne pas avoir de diplôme. Pour moi, un ou une auto-didacte a beaucoup plus de mérite, il a une vraie capacité d’autonomie et de motivation. C’est la même chose si tu compares quelqu’un qui a fait une école ou la fac. Celui qui a réussi en fac a plus de mérite que quelqu’un qui a réussi dans une école où tu es guidé, accompagné. Donc je valorise ces profils-là dans le recrutement.

Quels changements t’ont marqué dans le monde du Produit ces cinq dernières années ?

La relation avec les développeurs a totalement changé. Avant, il y avait de grandes équipes de dev, cloisonnées entre elles, qui prenaient des tickets Jira, et puis voilà. En général, personne ne prenait vraiment la peine d’expliquer pourquoi on leur demandait telle ou telle feature, dans quel but, pour qui.

Aujourd’hui, on a intégré le fait qu’il est important d’expliquer aux gens sur quoi ils travaillent et comment. Ca parait bête, dit comme ça, mais c’est toute l’organisation en feature teams et les modèles tribe / squads qui se sont mis en place pour répondre à ce besoin. Les gens ont des rôles et des objectifs beaucoup plus clairs, et ils participent aux réflexions produits. Ce shift a été très important.

Quelles seront les évolutions dans le monde du Produit dans les 3 prochaines années ?

Je pense que l’évolution majeure va porter sur la data. Il va y avoir une montée en puissance des  profils data au sein des équipes Produit. Demain, on aura un data par squad.

Si tu avais un livre ou un blog à recommander aux Product Managers, hors des best sellers que tout le monde connaît ?

Qu’ils aillent lire nos release notes sur l’app store, ils vont rire !

Si les gens ne devaient retenir qu’une seule phrase de cet échange, ce serait quoi ?

Qu’il faut être passionné par le produit sur lequel tu travailles. Typiquement, moi, je ne travaillerais pas pour une dating app comme Tinder. Leur produit est génial, mais, moi, le sujet ne me passionne pas, donc j’aurais été mauvais. Tu trouves ton produit, et ensuite tout ira bien.

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